test

A la recherche de systèmes d'élevages environnementalement et éthiquement durables
Didier Stilmant  1@  , Philippe Baret, Maxime Ninane, Virginie Decruyenaere, Eric Froidmont, José Wavreille, Michaël Mathot@
1 : Centre wallon de Recherches agronomiques, Departement Agriculture et Milieu naturel  (CRA-W)  -  Site web
Rue de Liroux 9, 5030 Gembloux -  Belgique

Introduction

Une sécurité alimentaire nécessiterait que tous les êtres humains aient, à tout moment, un accès physique et économique à une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins énergétiques et leurs préférences alimentaires pour mener une vie saine et active (Définition de la Conférence Mondiale de l'Alimentation de 1996). Bien que la famine diminue dans le monde (FAO 2013), la sécurité alimentaire est mise en péril suite à l'occidentalisation et à la standardisation des habitudes alimentaires qui accompagnent l'évolution des classes moyennes dans les pays émergeants. De ce fait, une augmentation de 80 % des consommations de produits d'élevages est attendue dans les pays émergeants et en voie de développement d'ici 2050. Augmentation qui ne serait que de 10 % dans les pays développés (FAO 2006 in Thornton 2010).

Outre la réduction des pertes et gaspillages ayant lieu aux différents échelons et représentant l'équivalent des productions de 28 % des terres cultivées (FAO 2013) ; toute ressource végétale directement valorisable par l'homme devrait lui être allouée afin de maximiser l'efficience d'utilisation des ressources issues de la photosynthèse. En effet, tout transit par un herbivore, granivore ou omnivore intermédiaire entrainera des pertes énergétiques, une réduction d'efficience d'un facteur qui est souvent supérieur à 10 (Odum and Odum 1971). Or, début des années 1990, 21 % des terres cultivées étaient mobilisées pour la production de céréales destinée aux animaux (http://www.fao.org/ag/againfo/programmes/fr/lead/toolbox/FAO/Main1/ch5a.htm). De même, en Wallonie, moins de 20 % des graines des céréales produites sont utilisées en alimentation humaine (Delcour et al. 2014).

Nos élevages sont également fortement interrogés de par les pressions qu'ils exercent sur l'environnement (FAO 2006). Ainsi, en additionnant les prairies et les cultures fourragères, ils utilisent 70 % des terres agricoles et ont suscité une déforestation de certaines zones du globe. Déforestation, d'une part, et sur-pâturage, d'autre part, qui sont associés à des pertes importantes en terme de biodiversité et à un aggravement des risques d'érosion. Par ailleurs, le développement de systèmes hors-sol n'est pas sans poser, lui aussi, de nombreux problèmes que ce soit suites aux pollutions diffuses associées à une mauvaise gestion des engrais de ferme ; trop souvent considérés comme des déchets dans ce cas ; aux émissions importantes d'ammoniac qui contribue à l'acidification des pluies, ... Finalement, l'élevage serait responsable de 15 % des émissions de gaz à effet de serre d'origine anthropique à l'échelle mondiale (Gerber et al. 2013) ; 10 % à l'échelle européenne (Lesschen et al. 2011). A cette dernière échelle, les activités liées à l'élevage représentent 80 % des émissions liées à l'ensemble de l'activité agricole (Lesschen et al. 2011).

Le Ruminant, la bête noire ?

Dans le cadre de ces différentes problématiques, les espèces de ruminants, dont les bovins représentent le principal groupe, sont souvent pointées du doigt. En effet, leur capacité à convertir, grâce aux populations de micro-organismes présents dans leur rumen, la cellulose en protéine et énergie présentant une haute valeur alimentaire, conduit à une moindre efficience alimentaire, dans l'absolu, par rapport aux espèces de monogastriques que sont le porc ou la volaille. Ainsi, là où ces derniers nécessitent moins de 5 kcal pour produire 1 kcal valorisable par l'homme, le ruminant nécessitera près de 10 kcal.

Ces valeurs doivent néanmoins être relativisées car la capacité des ruminants à valoriser les ressources cellulosiques non consommables par l'homme leur permet, si l'occasion leur en est donnée, de limiter fortement la compétition avec l'homme vis-à-vis de la ressource comme l'illustre Wilkinson (2011). Ainsi, en considérant l'énergie et la protéine valorisable par l'homme, les ruminants sont les seuls à pouvoir produire plus de nutriments valorisables par l'homme qu'ils n'en ingèrent. Tout étant fonction de la conduite des systèmes d'élevage, à savoir de l'occasion qui est donnée aux ruminants de valoriser de la cellulose en lieu est place d'amidon ou d'autres ressources directement valorisables par l'homme.

Néanmoins, une telle conduite de l'alimentation des ruminants, au départ de rations moins digestibles, conduit à des émissions de gaz à effet de serre importantes à l'échelle de l'animal (Mathot et al. 2012) mais pas spécialement à l'échelle du système de production (O'Brien et al. 2010) : la recherche de hautes performances individuelles, sur base de rations riches en concentrés et en énergie, va souvent de paire avec une détérioration des performances de reproduction et de santé des animaux et donc avec un accroissement des périodes improductives. Les ruminants n'en demeurent pas moins d'importants contributeurs au réchauffement climatique ; 22,6 kg CO2-eq/kg pour la viande de bœuf contre 3,5 et 1,7 kg CO2-eq/kg pour la viande de porc et les produits issus de la volaille, respectivement (Lesschen et al. 2011); ce pourquoi ils sont régulièrement critiqués.

Cette dernière approche ne prend néanmoins pas en compte l'affectation des sols associée à ces différents systèmes d'élevage. En effet, si l'on étend les frontières du système considéré, on se rend compte qu'une articulation plus étroite des ruminants avec ce qu'ils savent faire de mieux, à savoir valoriser les ressources cellulosiques, permet de contrebalancer de 15 à 100 % de leurs émissions de gaz à effet de serre (Dollé et al. 2011) par le stockage de carbone qu'assurent les prairies et parcours sous certains modes de conduite (Stilmant 2010, Tallec et al. 2012). Le maintien de cette articulation évite également le labour de prairies, ce qui entrainerait un déstockage massif du carbone stocké durant de longues périodes (Van Middelaar et al. 2013).

Une telle articulation entre prairies et élevage de ruminants est néanmoins de plus en plus mise à mal suite à l'agrandissement des troupeaux et des structures ; qui limite la faisabilité du pâturage lorsque le parcellaire n'est pas adapté et qui nécessite une simplification du travail ; ainsi qu'à l'augmentation des productivités individuelles ; qui demande de mobiliser des rations dont la teneur énergétique est de plus en plus importante. Ces évolutions réduisent les niveaux d'autonomie des systèmes ainsi que, souvent, leurs performances tant économiques qu'environnementales (Lebacq et al. 2014 ; Veysset et al. 2014). Ces tendances soulignent dès lors les besoins d'une transition afin de maintenir ce lien fort entre élevage et valorisation des prairies permanentes et / ou des co-produits issus des entreprises agro-alimentaires. Domaine dans lequel les ruminants occupent une place clé.

De telles transitions doivent être envisagées à l'échelle du territoire en prenant en compte la diversité des potentiels de production ainsi que leur fluctuation de même que les conséquences des changements à l'échelle des systèmes de production et ce, que ce soit sur l'environnement ou les performances socio-économiques.

Ruminants et prairies obligées, un lien de premier choix... envisageable ?

Ce travail se propose d'évaluer la faisabilité et les impacts d'un tel scénario à l'échelle de la Belgique avec, pour certains points, relatifs notamment à l'identification des prairies permanentes obligées, un focus sur la Région wallonne. Les autres avancées, mentionnées dans différents travaux, caractérisant ce scénario sont :

(1) le fait de baser la production sur l'élevage laitier ; sans réduction de la production laitière nationale ; mené en croisement avec du bétail viandeux de type Blanc Bleu Belge sur la partie du troupeau non utilisée pour le remplacement ; le sexage des semences permettant d'optimiser cette approche qui est bénéfique au niveau environnemental tout comme celle visant à mobiliser des races mixtes (Puillet et al. 2014) ;

(2) la conduite du troupeau allaitant résiduel sur les zones de haute valeur écologique caractérisées par la production de fourrages de moindre qualité ;

(3) la sélection d'animaux laitiers présentant une bonne capacité d'ingestion afin d'atteindre une production de 6500 l/vache/an sans devoir mobiliser une ration trop concentrée, ce qui est déjà d'application dans certains systèmes conduits en agriculture biologique (http://agriculture.wallonie.be/BG/091216HCh5DRaucq.pdf) et permet d'accroître les performances de reproduction du troupeau ;

(4) la réintroduction des farines animales dans les rations de mono-gastriques en évitant tout cannibalisme et la conduite d'élevages de monogastriques sur les co-produits qu'ils peuvent utiliser (pomme de terre, colza,...).

Sur base de ces orientations et malgré l'évolution de la population belge attendue à l'horizon 2050, nous maintiendrions nos exportations de lait et la couverture de nos besoins individuels en viande bovine au niveau actuel. La consommation de viande issue d'élevages de monogastriques sera quant à elle fortement diminuée sans nuire à la couverture des besoins nécessaires au bon fonctionnement de notre organisme. Ce fait est cependant contraire aux tendances actuelles qui enregistrent une augmentation de la consommation de viande de volaille de près de 9% entre 1999 et 2009 (OCA, 2011).

Quels blocages ?

Malgré l'existence d'expériences positives, un tel scénario nécessite de profondes modifications à différents niveaux au sein des filières agro-alimentaires, entre autres au niveau (1) des valeurs partagées par les producteurs et des structures de recherche et d'encadrement qui doivent basculer d'un concept de maximisation à un concept d'optimisation, (2) des filières développées qui doivent se focaliser sur le développement de valeur ajoutée au départ des productions végétales plutôt que de la production de mono-gastriques, (3) des consommateurs qui doivent modifier leurs habitudes alimentaires. En termes d'empreinte environnementale, il y a lieu de souligner qu'un tel changement au niveau de nos systèmes agro-alimentaires ne rimerait pas spécialement avec une réduction de leur impact sur le réchauffement climatique comme le souligne l'étude de Vieux et al. (2012). Ce point reste à explorer.

 

Références citées

Chaumet J.M., Delpeuch F., Dorin B., Ghersi G., Hubert B., Le Cotty T., Paillard S., Petit M., Rastoin J.-L., Ronzon T. & Treyer S. 2009. Agrimonde. Agricultures et alimentations du monde en 2050 : Scénarios et défis pour un développement durable. Rapport, INRA & CIRAD, 195 p.

Delcour A., Van Stappen F., Gheysens S., Decruyenaere V., Stilmant D., Burny Ph., Rabier F., Louppe H. & Goffart J.P. 2014. État des lieux des flux céréaliers en Wallonie selon différentes filières d'utilisation. Biotechnol. Agron. Soc. Environ., 18(2), 181-192.

Dollé J.B., Manneville V., Gac A. & Charpiot A. 2011. Emissions de gaz à effet de serre et consommations d'énergie des viands bovines et ovines françaises : revue bibliographique et évaluations sur l'amont agricole. Collection Résultats, Institut de l'Elevage, 62 p.

FAO, 2006. Livestock's long shadow. Environmental issues and options. 390 p.

FAO, 2013. Food wastage footprint : Impacts on natural resources. 61 p.

Gerber P.J., Steinfeld H., Henderson B., Mottet A., Opio C., Dijkman J., Falcucci A. & Tempio G. 2013. Tackling climate change through livestock – A global assessment of emissions and mitigation opportunities. Food and Agriculture Organization of the United Nations (FAO), Rome.

Lebacq T., Baret P.V. & Stilmant D. 2014. Role of input self-sufficiency in the economic and environmental sustainability of specialised dairy farms. Animal, doi: 10.1017/S1751731114002845.

Lesschen J.P., van den Berg M., Westhoek H.J., Witzke H.P., Oenema O. 2011. Greenhouse gas emission profiles of European livestock sectors. Animal Feed Science and Technology 166–167, 16– 28.

OCA, 2011. Filières viandes. 34p.

Odum E.P. & Odum H.T. 1971. Fundamentals of Ecology, Third edition. W.B. Saunders, Philadelphia.

O'Brien D., Shalloo L., Grainger C., Buckley F., Horan B. & Wallace M. 2010. The influence of strain of Holstein-Friesian cow and feeding system on greenhouse gas emissions from pastoral dairy farms. J. Dairy Sci., 93 :3390–3402.

Puillet L., Agabriel J., Peyraud J.L., Faverdin Ph. 2014. Modelling cattle population as life time trajectories driven by management options : A way to better integrate beef and milk production in emissions assessment. Livestock Science, http://dx.doi.org/10.1016/j.livsci.2014.04.001

Stilmant D. 2010. Concilier élevage et environnement, les marges de manoeuvre explores ou à explorer en Wallonie ? Carrefour Productions animales, 38-47.

Tallec T., Klumpp K., Guix N. & Soussana J.F. 2012. Les pratiques agricoles ont-elles plus d'impact que la variabilité climatique sur le potentiel des prairies pâturées à stocker du carbone ? Fourrages, 210 : 99-107.

Thornton Ph. K. 2010. Livestock production : recent trends, future prospects. Phil. Trans. R. Soc. B., 365 : 2853-2867.

Van Middelaar C.E., Berentsen P.B.M., Dijkstra J., De Boer I.J.M. 2013. Evaluation of a feeding strategy to reduce greenhouse gas emissions from dairy farming: The level of analysis matters. Agricultural Systems, http://dx.doi.org/10.1016/j.agsy.2013.05.009.

Veysset P., Lherm M. (1), Roulenc M. (1), Troquier C. (1), Bebin D. 2014. Augmentation de la productivité du travail et érosion de l'efficience globale des systèmes de production bovins allaitants Charolais entre 1990 à 2013. Rencontres Recherches Ruminants, 21 : 97-100.

Vieux F., Darmon N., Touazi D. & Soler L.G. 2012. Greenhouse gas emissions of self-selected individual diets in France: Changing the diet structure or consuming less? Ecological Economics, 75 : 91–101.

Wilkinson J.M. 2011. Re-defining efficiency of feed use by livestock. Animal, 5(7) : 1014–1022.



  • Autre
Personnes connectées : 1 Flux RSS