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Repenser l'automobile pour accélérer la transition : l'approche LISA Car
Pierre Courbe  1@  , Koen Van Wonterghem  2, *@  
1 : Fédération Inter-Environnement Wallonie  (IEW)  -  Site web
Rue Nanon, 98 5000 Namur -  Belgique
2 : Parents d'enfants victimes de la route  (PEVR)  -  Site web
rue Léon Theodore, 85 1090 Bruxelles -  Belgique
* : Auteur correspondant

1. Constat : le système automobile et ses incidences négatives

1.1. Brève description du système de transport

Le système de transport des pays dits « développés » est essentiellement centré sur l'automobile. En Belgique, 76% des kilomètres parcourus par les citoyens belges le sont en voiture. Ce système s'est progressivement mis en place dans la seconde moitié du vingtième siècle, porté par quatre dynamiques complémentaires qui ont engendré une augmentation continue des déplacements :

  • importants investissements publics dans les réseaux routiers, priorité donnée aux voitures et camions et moindres investissements dans les transports alternatifs ;
  • dispersion des activités (habitat, lieux de production, de consommation, ...) sur le territoire ;
  • augmentation du taux de motorisation de la population ;
  • amélioration des performances dynamiques et du confort des véhicules.

Aujourd'hui, l'automobile fait système. Même si 17% des ménages belges ne possèdent pas de voiture, une grande partie de la population ne peut (ou ne veut) s'en passer. Les obstacles sont d'ordre pratique (aménagement du territoire, mobilité professionnelle, ...) et socio-culturel (habitudes de déplacement acquises dans l'enfance, pression de la publicité automobile, ...).

1.2. Voiture, mouvement, énergie, CO2 et dangerosité

Pour assurer le mouvement d'une voiture, il faut lui fournir de l'énergie afin de vaincre les différentes forces de résistance. Certaines caractéristiques de base de la voiture influent sur ces dernières – et donc sur l'énergie nécessaire à son mouvement. Il s'agit de : la masse, la surface frontale, le coefficient d'efficacité aérodynamique et le coefficient de résistance au roulement.

Au cours des dernières décennies, l'augmentation des performances dynamiques (vitesse de pointe, accélération) et des dimensions des voitures conjuguée à l'amélioration continue du confort a participé significativement à l'accroissement de leur masse et de leur surface frontale ainsi qu'à la stagnation des coefficients de résistance au roulement et d'efficacité aérodynamique (ce dernier étant même en régression du fait de la généralisation de faces avant plus « carrées »).

Ces évolutions induisent une augmentation des émissions de gaz à effet de serre et de polluants locaux (qui affectent la santé humaine) ainsi qu'un accroissement de la dangerosité des voitures (laquelle est proportionnelle à leur énergie cinétique maximale). Monsieur Claude Got, docteur en médecine et expert en accidentologie, commente ainsi cette évolution : « Il est indéfendable d'avoir limité les vitesses maximales des cyclomoteurs, des poids lourds, des tracteurs, pour des raisons de sécurité et de n'avoir pas adopté la même attitude pour les véhicules légers qui produisent le plus grand nombre de décès [...] C'est un échec grave de notre civilisation, un signe de barbarie et d'indifférence à une souffrance que l'on se refuse à imaginer pour soi et dont on tolère qu'elle soit subie par les autres[1]. »

1.3. Incidences du système automobile

Les incidences du secteur des transports se manifestent sur les plans économique, environnemental et social et durant les différentes étapes de la durée de vie des véhicules, des carburants et des infrastructures.

Les incidences économiques se font notamment sentir sur le plan de la dépendance énergétique (impact sur la balance commerciale), de la congestion des réseaux d'infrastructures, et des coûts externes (qui représentent environ 7,3 % du PIB au niveau européen hors congestion, un quart environ étant associés aux accidents).

Les incidences environnementales se manifestent entre autres au niveau des changements climatiques (les voitures et véhicules utilitaires légers (VUL ou camionnettes) sont responsables de 13,5 % des émissions totales de CO2 de l'Union européenne), de la déplétion des ressources naturelles (énergie fossile notamment) et des rejets de déchets ultimes.

Les incidences sociales concernent principalement la sécurité et la santé publique : polluants locaux, bruit, sédentarisation et accidents (en 2012, on déplorait 28.136 décès sur les routes européennes, ainsi que 1.340.000 personnes blessées). Elles s'expriment également en matière d'accès à la mobilité et d'exposition aux nuisances des transports.

1.4. Quand le système automobile touche aux limites de la biosphère

Si le taux de motorisation de l'humanité était égal à celui existant en Belgique, le parc automobile mondial frôlerait les 3,5 milliards d'unités. Si le kilométrage de ces voitures était le même que celui des voitures belges, 52.500 milliards de km seraient roulés chaque année, soit 350.930 fois la distance Terre-Soleil ou encore 5,55 années-lumière... Cela générerait (compte tenu du cycle de vie total des véhicules) environ 11 milliards de tonnes de CO2 par an, ce qui correspond approximativement à la capacité d'absorption d'émissions anthropiques de la biosphère. Ce simple exemple suffit à prendre conscience de l'impossibilité d'étendre le système de transport « occidental » au reste de l'humanité. Or, nombre de pays - émergents en tête – se lancent sur cette voie (il y avait 2 voitures pour 1000 habitants en Chine en 1995 et 32 en 2010).

2. Les transports : non durables il y a 20 ans - moins encore aujourd'hui – et demain ?

2.1. Vers des transports durables

En 1996, l'OCDE organisait une conférence intitulée « Towards sustainable transportation ». Au terme de celle-ci, l'OCDE estimait que : « Un système de transport est durable lorsque les besoins d'accessibilité aux personnes, services et biens sont rencontrés sans produire de dommages permanents à l'environnement global, ni de dommages aux environnements locaux, ni de manque d'équité sociale. [...] Les systèmes de transport dans les pays de l'OCDE et quelques autres pays ne sont pas durables. [...] Dans la plupart des pays, les tendances actuelles s'éloignent de la durabilité [...] La réalisation de systèmes de transport durables impliquera sans doute des améliorations au niveau des véhicules, des carburants et des infrastructures d'une part et la réduction de la mobilité des personnes et de la circulation des marchandises d'autre part. »

2.2. Rappels récurrents

Le constat de la non-durabilité du système de mobilité est régulièrement posé depuis, par diverses instances. Citons la Conférence européenne des Ministres des Transports (CEMT), l'Agence européenne de l'environnement (AEE) et, en Belgique, le Conseil fédéral du développement durable (CFDD).

2.3. Demain : le choc frontal ou... réduire la demande et repenser l'automobile ?

L'application des recommandations faites par l'OCDE en 1996 se heurte à deux écueils majeurs. D'une part le volume de transport des personnes et des marchandises est en augmentation régulière. L'étroite corrélation de celle-ci à la croissance économique rend tout plaidoyer en faveur de la réduction de la demande politiquement irrecevable. D'autre part, même si de grands progrès ont été faits en matière d'efficacité énergétique des moteurs, leur effet bénéfique pèse peu par rapport aux effets négatifs conjugués de l'accroissement du nombre de véhicules et de l'augmentation de leur masse, de leur puissance, de leur vitesse de pointe et de leurs dimensions.

3. Victimes de la route et environnementalistes, acteurs de la transition

3.1. Facteurs bloquants

Le système automobile est notamment caractérisé par sa complexité, sa dimension technologique, et les lourds enjeux économiques qui le sous-tendent. De plus, nombre de citoyens ont une approche émotionnelle de la voiture, tout à la fois outil de mobilité, « marqueur social » et objet de fantasme. L'évolution vers des véhicules plus lourds, plus puissants, plus rapides, plus « agressifs » est fort peu questionnée, voire fait l'objet d'une certaine approbation sociale. Dans nos sociétés, la voiture reste fortement associée à la notion de liberté. L'idée de « brider cette liberté » en limitant certaines caractéristiques des voitures figure au rang des interdits sociétaux. Il est dès lors difficile pour les décideurs politiques de se projeter dans un autre modèle.

3.2. Catalyseurs

La transition vers un système de transports durable nécessitera l'activation de trois leviers complémentaires : (1) la réduction de la demande, (2) le report vers les modes les moins polluants et (3) la conception de véhicules moins énergivores, moins polluants, moins dangereux. Ce troisième levier est actuellement bloqué par les constructeurs automobiles, qui cherchent à pérenniser la voiture individuelle actuelle : massive, puissante et suréquipée.

La société civile, cependant, se mobilise - notamment pour modifier la demande des citoyens. Ainsi, l'initiative « Voiture citoyenne »[2] propose-t-elle un classement des voitures neuves tenant compte de leur dangerosité (pour leurs occupants, les occupants d'autres voitures et les usagers faibles) et de leurs performances environnementales.

3.3. Accélérer la transition : LISA Car

La fonction première d'un véhicule automobile moderne est de transporter de une à neuf personnes en circulant sur le réseau routier sans que celles-ci n'aient à fournir d'effort physique et à des vitesses de quelques dizaines de kilomètres par heure.

C'est à ces fondamentaux que IEW et PEVR comptent revenir. C'est pourquoi ils ont développé le concept de LISA Car (light and safe car). Pour IEW et PEVR, il convient d'opérer un changement culturel : la diminution du nombre de victimes sur les routes et la protection de l'environnement doivent devenir des valeurs fondamentales, restrictives par rapport à la liberté de mettre en vente des voitures toujours plus lourdes, plus rapides, plus puissantes. La reconnaissance sociétale de ces valeurs permettra de réorienter l'offre (conception des véhicules) comme la demande (choix d'un véhicule).

Diverses personnalités (en Belgique francophone principalement) ont été invitées à signer une charte de soutien. Parmi les signataires, cinq eurodéputés avec lesquels un travail a été initié. Le but : mettre la pression sur la Commission européenne afin que celle-ci propose des normes limitant la masse, la puissance et la vitesse de pointe des voitures et cadrant le design de leur « face avant ». Les travaux se poursuivent en ce sens, avec l'ambition de décliner cette campagne dans plusieurs Etat membres européens.


[1] Got, C., Dommages liés aux véhicules, consultable sur http://www.securite-routiere.org/



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