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Éthique, dialogue et co-construction : Une proposition pour accélérer la transition
Ian Segers  1@  
1 : Chaire de recherche en Éco-conseil, Université du Québec à Chicoutimi  (UQAC)  -  Site web
Université du Québec à Chicoutimi 555, boulevard de l'Université Chicoutimi (Québec) Canada G7H 2B1 -  Canada

Notre proposition de communication est issue d'une recherche praxéologique effectuée lors de notre maîtrise en éthique, à l'Université du Québec à Chicoutimi (UQAC). Cette recherche porte sur la formalisation d'un processus participatif par le dialogue permettant l'accompagnement de groupes dans la co-construction de la dimension éthique de la transition par le développement durable. Cette recherche en éthique appliquée nous a mené à construire une approche de la transition par le développent durable par le biais d'une posture éthique. C'est cette approche que nous voulons proposer.

1. De l'importance des valeurs

La crise des fondements (politique, scientifique, éthique, scientifique, symbolique, écologique, alimentaire) tels que définis notamment par Morin (2011) nous place dans une situation collective ambiguë; il n'existe que très peu de repères éthiques partagés alors que nous sommes plus que jamais confrontés à des choix multiples et complexes.

À l'heure où le simple fait de se déplacer en voiture a des implications sur l'ensemble du système planétaire (par le biais de l'extraction de matières premières non renouvelables, du déplacement de ces matières vers les usines de transformation/raffinage, de l'implication de milliers de personnes; des dirigeants d'entreprise aux employés de soutien, de la création et l'entretien des routes et des stationnements, de rejets polluants eau-air-sol issus de tout le cycle de production et d'utilisation de la voiture, jusqu'à la problématique archicomplexe des changements climatiques), réfléchir collectivement au sens de nos actions semble une riche idée.

La transition par le développement durable vise généralement à modifier des comportements individuels et collectifs, mais génère également un questionnement éthique concernant les rapports que nous devrions entretenir entre les humains et avec la nature. Il existe actuellement une panoplie de méthodes comme Natural Step[1], des grilles d'analyse de développement durable comme celle de la Chaire en éco-conseil[2], d'approches (Riffon, 2012) de guides, comme le BNQ 21 000[3], de Lois, comme celle sur le développement durable au Québec[4] et de normes, comme ISO 26000[5]. Tous ces outils visent à réduire notre empreinte écologique, permettent d'outiller les groupes pour organiser des évènements éco-responsables, à tenir compte du cycle de vie des produits ou à rédiger un plan d'action en développement durable.

Si ces outils permettent l'implication des acteurs à travers différentes étapes de l'opérationnalisation de la transition par développement durable, il en existe beaucoup moins portant sur la construction de ses valeurs et finalités.

Pourtant, poser des questions concernant le pourquoi de l'action, identifier les valeurs à mobiliser dans les projets et s'intéresser aux finalités éthiques n'est pas un exercice futile (Droz et coll. 2006). Les valeurs reflètent, de manière relativement cryptée, une conception du bien et du mal, la relation à l'autre et à la nature (Pierron, 2009). L'attachement aux valeurs, provenant de l'éducation, de l'appartenance à un groupe ou des expériences de la vie, s'avère une réelle force agissante : les valeurs orientent les décisions, alimentent les conflits, mais interviennent le plus souvent de manière souterraine. Pour Legault (2008), les valeurs sont la charpente invisible d'une décision. Cependant, par manque de temps, par souci d'efficacité ou par peur de la confrontation, les valeurs et la dimension éthique de la transition sont peu considérées dans les processus de décisions. Effectivement, il est plutôt inhabituel dans les organisations d'entreprendre des discussions formelles où sont partagées les visions du monde, les valeurs et les utopies.

Dans une approche transdisciplinaire de la transition, nous pensons qu'inclure cette partie du réel, c'est-à-dire des informations essentielles offrant une plus grande conscience de soi, des autres et de la nature est nécessaire. L'éthique est à la fois une source de connaissances et une occasion de redéfinir collectivement des valeurs adaptées à la complexité des actions d'aujourd'hui. Après avoir accompagné une cinquantaine de groupes dans leur réflexion éthique nous avons réalisé que définir le pourquoi agir permet de mieux orienter le comment agir.

Ainsi, il nous apparait nécessaire, afin d'accélérer les processus de transition, d'aménager et de définir des espaces collectifs permettant de délibérer sur les valeurs à adopter afin d'ajouter une dimension éthique explicite à nos actions. Mais comment discuter de valeurs, comment les sélectionner, les hiérarchiser, les intégrer aux décisions, bref, comment les intégrer dans les actions liées à la transition? C'est précisément ce questionnement éthique concernant le « comment accompagner le pourquoi » que nous avons exploré lors de notre recherche.

2. Intervention par le dialogue

À partir d'une posture praxéologique permettant une réflexion dans et sur l'action (Huybens, 2009) nous avons analysé une intervention par le dialogue réalisée dans une organisation complexe. À ce stade, il est pertinent de préciser brièvement que notre pratique s'articule autour de trois facettes interdépendantes : 1) l'intervention sur le terrain 2) l'engagement dans la recherche et 3) l'enseignement. Les projets d'intervention s'opèrent dans des contextes variés et permettent une réflexion dans l'action par l'utilisation de savoirs procéduraux (Malglaive, 1990) propre au praticien réflexif. Les processus de formalisation des savoirs issus de la pratique servent à enrichir les savoirs théoriques par une réflexion sur l'action et favorisent une posture de praticien chercheur. Finalement, l'adaptation pour l'enseignement des savoirs procéduraux et théoriques permet le développement d'une pédagogie hybride où se côtoie le co-enseignement et la pédagogie participative. Nous explorons les possibilités de la co-construction des apprentissages, nous enseignons à l'aide de processus participatifs par le dialogue, à l'aide de récit de pratique, nous organisions fréquemment des activités d'intégration des acquis et nous partons sur le terrain pour des séminaires résidentiels de plusieurs jours.

Donc, l'origine de la recherche provient d'un mandat octroyé à la Chaire de recherche en éco-conseil de l'Université du Québec à Chicoutimi par l'Agence de la santé et des services sociaux du Saguenay Lac-Saint-Jean. L'objectif général était de réaliser un travail d'accompagnement pour la mise en place de stratégies de développement durable avec la Table régionale de développement durable (TRDD), structure relevant du réseau régional de la santé et services sociaux.

Lors de ce mandat, une intuition de recherche a émergé concernant l'intégration pragmatique de l'éthique et du dialogue pour l'accompagnement d'un processus de transition organisationnelle par le développement durable. Cette intuition a été mise en pratique par l'organisation d'un processus participatif par le dialogue (Segers, 2014) visant la rédaction d'une déclaration de principes. Ce processus éthique nous a permis :

1- De co-construire un réservoir de sens (Fortin 1994, Segers, 2014), c'est-à-dire une mise en commun des principes moraux, des valeurs, des idéaux, des rêves, des connaissances, des utopies et des symboles relatifs au développement durable.

2- De co-créé un horizon moral (Taylor, 1992), c'est-à-dire de hiérarchiser le contenu du réservoir de sens en délibérant sur les valeurs cardinales et les finalités qui seront à actualiser dans les actions de transition par le développement durable.

Dans une perspective pragmatique, établir un réservoir de sens et un horizon moral devient une action significative permettant d'identifier les sources souterraines qui enracinent l'action (Legault, 2008) et d'ajuster l'agir en conséquence. Le dialogue entre les différents systèmes de valeurs (individuel, organisationnel, du développement durable, etc.) devient un outil privilégié pour penser en groupe, favoriser l'émergence d'idées nouvelles et mener à l'élaboration d'actions de développement durable plus complexes.

Au retour de cette intervention, nous nous sommes posé des questions visant à mieux comprendre notre action et à identifier les relations existantes entre la participation, le dialogue, l'éthique et les mécanismes de co-construction d'une éthique appliquée à la transition. La posture praxéologique adoptée a permis de formaliser les savoirs procéduraux et les savoirs théoriques mobilisés par le praticien chercheur (Albarello, 2004) et nécessaires à la réalisation de ce type d'accompagnement.

L'articulation entre les savoirs procéduraux et théoriques a permis de découvrir que l'emploi de techniques de participation (world café, forum ouvert, etc.) doit être encadré par une éthique du dialogue pour favoriser l'émergence d'un dialogue éthique.

3. Éthique du dialogue et dialogue éthique

L'éthique du dialogue est de type procédural, elle est reproductible et nécessite un accompagnateur. Ce dernier est le gardien de la procédure dialogique (Patenaude, 1997). C'est à l'accompagnateur que revient la responsabilité de déterminer les procédures adéquates pour que le dialogue se déroule de la meilleure manière possible. Le rôle de l'accompagnateur se passe dans l'action et nécessite l'emploi de techniques, que nous avons globalement appelées « processus participatifs par le dialogue ». L'accompagnateur a un rôle d'expert en processus et doit maitriser certaines techniques. Il faut distinguer cette fonction du rôle d'expert de contenu, qui revient aux individus qui composent le groupe et qui détiennent des savoirs particuliers et utiles pour le groupe.

Être porteur de l'éthique du dialogue est une situation délicate, il faut savoir manier les procédures sans être procédurier. L'accompagnateur doit posséder des capacités en gestion de groupe afin de réguler le plus harmonieusement possible les échanges en exécutant des recadrages, en favorisant la panoramication (Huybens, 2009), en faisant des synthèses et en articulant les informations, en défaisant des amalgames et en faisant des liens complexes.

Le rôle de l'accompagnateur vient avec une responsabilité éthique qui consiste à favoriser et à enseigner des attitudes comme l'écoute et l'empathie et à valoriser l'altérité (Cognet & Montgomery, 2007). L'altérité, c'est reconnaitre l'autre comme étant différent tout en accueillant cette différence avec bienveillance. L'empathie est voisine de l'altérité. S'il est possible de reconnaitre l'autre dans ses différences, l'empathie permet de comprendre ses ressentis. Parce que nous partageons une même humanité il est possible de percevoir et à la limite de ressentir, les émotions d'autrui. Ce faisant, il est possible de comprendre que la position de l'autre, aussi dissemblable de la mienne puisse-t-elle être, peut être défendue avec autant d'authenticité que je le ferais avec mes idées. Cela ne veut pas dire que comprendre signifie être d'accord avec l'autre, il s'agit plutôt de tenter de reconnaitre l'autre dans sa cohérence.

Au contraire, le dialogue éthique est non-reproductible et repose entre les mains des participants. C'est l'univers de l'incertitude et de l'improvisation, le dialogue éthique est un moment. Le dialogue est un apprentissage et à l'instar de Patenaude (1997), nous pensons qu'il est une compétence éthique à acquérir. Pourtant, même s'il peut s'étudier et se décrire, il n'en demeure pas moins une expérience sensible. C'est un échange sur le sens à donner à l'action et à nos actes de vies. C'est une discussion sur l'identité du groupe, sur les rapports entretenus entre les uns et les autres, sur la nature, sur les valeurs et les finalités. C'est pourquoi le groupe est expert en contenu. C'est de lui, par l'émergence de l'intelligence collective, que vont dépendre la qualité et la profondeur des échanges. L'utilisation de procédures participatives (éthique du dialogue) ne vise qu'à créer cette possibilité de dialogue et de co-construction.

En conclusion, nous voulons signifier que le développement de cette démarche a eu des effets sur le praticien lui-même. Au fil des interventions, nous nous sommes aperçus que l'effet souhaité par ces démarches est orienté par nos propres finalités éthiques, c'est-à-dire le passage d'une culture de la compétition, vers une culture de la co-construction. Cette subjectivité rendue explicite permet une réelle contribution au changement de culture organisationnelle. Cette source d'authenticité nous motive à accompagner la transition de nos collectivités vers d'autre manière d'exister.

Bibliographie indicative

Albarello, L. (2004). Devenir praticien chercheur. Comment réconcilier la recherche et la pratique sociale. Bruxelles: De boeck.

Cognet, M., & Montgomery, C. (2007). Éthique de l'altérité: la question de la culture dans le champ de la santé et des services sociaux. Presses Université Laval.

Droz, Y., Lavigne, J.-C., Massé, R., & Milbert, I. (2006). Éthique et développement durable. KARTHALA Editions.

Fortin, P. (1995). La morale, l'éthique, l'éthicologie. Québec: Presses de l'Université du Québec.

Huybens, N. (2009). Penser dans la complexité la controverse socio-environnementale sur la forêt boréale du Québec pour la pratique de l'éco-conseil. Chicoutimi.

Legault, G. A. (2008). Professionnalisme et délibération éthique. Québec: Presse de l'Université du Québec.

Malglaive, G. (1990). Enseigner à des adultes: travail et pédagogie. PUF.

Morin, E. (2011). La Voie. Paris: Fayard.

Patenaude, J. (1997). Le dialogue comme compétence éthique. Université Laval.

Pierron, J.-P. (2009). Penser le développement durable. Paris: ellipses.

Riffon, O. (2012). Une typologie du développement durable. Liaison Énergie-Francophonie, (88-89).

Segers, I. (2014) Éthique, dialogue et développement durable; pour la pratique de l'éco-conseil. Mémoire de maîtrise, Université du Québec à Chicoutimi.

Taylor, C. (1992). Grandeur et misère de la modernité. Montréal: Bellarmin.


[1] Voir le site The Natural Step : http://www.naturalstep.org/

[2] Voir le site de la Chaire en éco-conseil : http://ecoconseil.uqac.ca/outils/

[3] Voir le site du Bureau de normalisation du Québec : http://www.bnq21000.qc.ca/

[4] Voir le site du MDDEFP : http://www.mddep.gouv.qc.ca/developpement/loi.htm

[5] Voir le site ISO : http://www.iso.org/iso/fr/home/standards/iso26000.htm


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