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Mettre en place une politique alimentaire catastrophiste (et éclairée)
Pablo Servigne  1@  
1 : Chercheur indépendant  (Membre du GIRAF)  -  Site web
- -  Belgique

« Notre civilisation est aujourd'hui sur une trajectoire économique qui n'est pas soutenable, sur un chemin qui nous mène vers le déclin économique, voire l'effondrement. » 

Lester Brown, Plan B 2.0, 2006. Fondateur du Worldwatch Institute, fondateur et président du Earth Policy Institute

 « Les risques suivants sont identifiés avec une grande certitude : [...] 3. Les risques systémiques dus à des phénomènes météorologiques extrêmes menant à la rupture des réseaux d'infrastructure et des services essentiels tels que l'électricité, l'approvisionnement en eau, et les services de santé et d'urgence. [...] 5. Risque d'insécurité alimentaire et d'effondrement des systèmes alimentaires. » 

Cinquième rapport du GIEC, mars 2014.

 

 Ces dernières années, les publications scientifiques qui envisagent des évolutions catastrophiques globales et une probabilité croissante d'effondrement ont été nombreuses, et leur rythme de parution s'accélère. Les comptes-rendus des académies des sciences de Grande-Bretagne et des Etats-Unis ont publié de récents articles —et même un dossier spécial— à ce sujet (Ehrlich & Ehrlich, 2013 ; Butzer, 2012).

Les conséquences des changements environnementaux planétaires que l'on imaginait plausibles pour la seconde moitié du XXIème siècle se manifestent aujourd'hui très concrètement, à la lumière de chiffres de plus en plus précis et accablants. Le climat s'emballe, la biodiversité s'érode à un rythme alarmant, la pollution s'immisce partout et devient persistante, l'économie est extrêmement instable, les tensions sociales et géopolitiques se multiplient, etc.

Il n'est plus rare de voir des décideurs au plus haut niveau et des rapports officiels de grandes institutions (Banque Mondiale, armées, GIEC, banques d'affaires, ONG, etc.) évoquer la possibilité d'un effondrement, ou de ce que le Prince Charles appelle « un acte de suicide à grande échelle », et que John Beddington, le conseiller scientifique en chef de Grande Bretagne, nomme la « tempête parfaite ». 

Ainsi, les systèmes alimentaires industriels qui nourrissent l'Europe sont devenus extrêmement vulnérables, à tel point qu'ils risquent, bien avant 2030, de ne plus pouvoir assurer une alimentation suffisante aux populations européennes (Servigne, 2014).

La possibilité et l'imminence de telles ruptures oblige la raison à prévoir des vraies politiques de gestion des catastrophes. En effet, il n'est plus suffisant de n'envisager que des stratégies d'évitement des catastrophes et de planifier des transitions de type « linéaires » sur plusieurs dizaines d'années. Le temps est venu de concevoir sérieusement le pire et de se préparer à gérer des situations de pénurie, comme cela a été le cas durant l'hiver 2014-2015 en Belgique pour la production électrique.

C'est précisément ce que Hans Jonas proposait dans le fait de « davantage prêter l'oreille à la prophétie de malheur qu'à la prophétie de bonheur » (Jonas, 1979). Le philosophe Jean-Pierre Dupuy précise les contours d'une telle démarche, et la nomme « catastrophisme éclairé » (Dupuy, 2002), Pour lui, il ne suffit pas de considérer les catastrophes comme des risques et des probabilités, « il s'agit de faire comme si on avait affaire à une fatalité, afin de mieux en détourner le cours. Le malheur est notre destin, mais un destin qui n'est tel que parce que les hommes n'y reconnaissent pas les conséquences de leurs actes. C'est surtout un destin que nous pouvons choisir d'éloigner de nous. » « C'est parce que la catastrophe constitue un destin détestable dont nous devons dire que nous n'en voulons pas qu'il faut garder les yeux fixés sur elle, sans jamais la perdre de vue. Je crains que ce point fasse peu sens pour les gestionnaires du risque. Ce qu'ils voient, quant à eux, c'est que pour chacun des risques dont ils s'occupent il est peu vraisemblable que l'avenir nous réserve une tragédie majeure. »

Dans la présente contribution, nous détaillerons les trois principales menaces qui pèsent sur les systèmes alimentaires industriels européens : le climat, la vulnérabilité des chaines d'approvisionnement, et la fin des énergies fossiles.

L'objectif est d'arriver à comprendre où se situeront les premières failles des systèmes, et de proposer la mise en place de cellules de gestion de crise, spécifiques à chaque menace. L'implémentation d'une politique de résilience passe par l'étude de scénarios catastrophes (ou la simulation grandeur nature) de telles ruptures.

Le principal écueil de cette politique sera alors d'éviter son auto-réalisation. En effet, si une telle politique catastrophiste devient officielle, il est possible qu'elle déclenche des mouvements de panique sur les marchés financiers (ou de la population), précipitant ainsi la réalisation des crises qu'elle tente d'anticiper. Nous discuterons de la manière de contourner cet écueil, en particulier en impliquant d'avantage les citoyens dans ce type de scénarios —par exemple à travers les initiatives de transition (Hopkins 2008)— et en coordonnant ces stratégies entre différentes régions.

Nous discuterons de ces propositions à la lumière des expériences d'anticipations déjà existantes qui ont émergé dans certaines villes anglo-saxonnes autour du thème du pic pétrolier et de la sécurité alimentaire (Portland, Bristol, etc.).

Bibliographie indicative reprenant les principales sources envisagées

Butzer, K. W. 2012. Collapse, environment, and society. PNAS, 109(10), 3632-3639. 

Dupuy, J.-P. 2002. Pour un catastrophisme éclairé, Seuil.

Ehrlich, P. R., & Ehrlich, A. H. 2013. Can a collapse of global civilization be avoided?. Proc. Roy. Soc. B, 280(1754), 20122845.

Hopkins, R. 2008. The Transition Handbook: From Oil Dependency to Local Resilience. London : Green Books. 

Jonas, H. 1979. Le principe responsabilité : une éthique pour la civilisation technologique ; traduction française éd. du Cerf, 1990.

Servigne, P. 2014. Nourrir l'Europe en temps de crise. Nature & Progrès Belgique.


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