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Comment faire circuler les semences ? Enjeux et perspectives pour les alternatives
Corentin Hecquet  1, 2@  
1 : Société Environnement Economie Développement  (SEED - Ulg)  -  Site web
Rue de Longwy, 185 à 6700 Arlon -  Belgique
2 : Groupe Interdisciplinaire de Recherche en Agroécologie du FNRS  (GIRAF)  -  Site web
rue de Longwy, 185 à 6700 Arlon -  Belgique

Résumé: Le régime semencier actuel constitué autour de la définition de la variété par les normes de Distinction Homogénéité et de Stabilité (DHS) et du droit de propriété intellectuel par le Certificat d'Obtention végétale (COV) est l'objet de deux critiques formulées respectivement par l'option biotechnologique et l'option semence paysannes de type non industrielles. Une lecture des critiques de cette dernière envers la proposition de révision de la législation européenne concernant la circulation des semences met en lumière différentes conceptions et modalités alternatives de contournement face aux verrouillages du régime. Ces alternatives interrogent les perspectives de déverrouillage ou de modification du régime. Pour effectuer cette analyse, je me base sur l'observation participante des réunions du sous-groupe législation semences du Réseau de Soutien à l'Agriculture Paysanne (RESAP), des entretiens avec les membres de trois organisations produisant des semences qui ne s'inscrivent pas dans la perspective productiviste (Koal Khoz, Kokopelli, Semailles).

 

Le régime semencier articule des dispositifs biologique (norme de Distinction, Homogénéité et Stabilité - DHS) et juridique (Certificat d'Obtention Végétal – COV) conduisant à un marché captif rentable. Pour la circulation de semences à destination professionnelle, seul les variétés DHS sont autorisées. Ainsi, la multiplication de « semences population » trouve difficilement un espace d'existence. Or, celles-ci contribuent à une agriculture faible en intrant par le renforcement inter et intra variétal (Papy and Goldringer 2011). Cette situation est critiquée, entre autre, par la mise en pratique d'alternatives aux alentours des années 2000.

La communication propose d'explorer en quoi la proposition alternative, qualifiée de semences non-industrielles (Hecquet 2013), interroge les concepts et instruments du régime semencier. Le terme semences non-industrielles regroupe les différents adjectifs (ancienne, paysanne, oubliée, citoyenne), attachés aux semences ne s'inscrivant pas dans une perspective productiviste. Le terme semence non-industrielle embarque cette diversité sans pour autant définir chacune des spécificités. Les semences non-industrielles impliquent des modes de sélection in situ – sur site - tenant compte de la rusticité, des intérêts intra et inter variétal, de la valeur organoleptique et d'autres critères définis par les producteurs. Les critères et modes de sélection renvoient à une opposition aux semences industrielles sélectionnées ex-situ par les laboratoires.

Dans un premier temps, nous proposons de décrypter le régime semencier et l'identification des barrières au changement. Ce, dans un environnement où le régime semencier en place est également déstabilisé par les semences biotechnologiques. Dans un second temps, nous décrivons comment les critiques et propositions alternatives des semences non industrielles nourrissent des pistes pour une transition. Ceci nous amène à s'interroger à propos du type de droit permettant à cette agriculture alternative de se prémunir de l'accaparement par d'autres acteurs. Nous concluons par une réflexion sur le type de recherche, d'innovation et de modes depensée offrant une place aux diverses pratiques sociales en terme de circulation de semences.

 

Les données empiriques de cette recherche reposent sur trois sources :

- l'observation participante durant l'année 2013 des réunions du groupe législation semences du Réseau de Soutien à l'Agriculture Paysanne (RESAP) et leur rencontre

avec le Réseau Semence Paysanne (RSP), Arche de Noa, Kokopelli, Nature & Progrès Belgique

- les entretiens réalisés avec des membres de Kokopelli, des Croqueurs de Carottes, de Semailles et de Khoal Khoz (ces trois derniers membres du RSP)

- le suivi de la « proposition de Règlement du Parlement Européen et du Conseil relatif à la production et à la mise à disposition sur le marché de matériel de reproduction des végétaux » (Commission_Européenne 2013)

 

1. Le régime semencier

L'enjeu pour les entreprises semencières réside dans le contrôle des variétés mise au point c'est à dire de leur mode d'existence spécifique (adaptabilité, abondance et gratuite). Pour cette raison, un dispositif se développe, leur permettant de «contrôler» la capacité de vie des graines. Dans le cas des hybrides F1, ce sont les caractéristiques biologiques de la sélection qui rendent l'agriculteur dépendant des fournisseurs de semences. Mais c'est le dispositif juridique qui va garantir à l'obtenteur la propriété de la variété. C'est ainsi que sur base d'une qualification fixiste des variétés fondées sur les critères de Distinction Homogénéité et Stabilité (DHS) deux

dispositifs contraignant vont être mis au point : l'inscription obligatoire au Catalogue de variétés répondant aux critères DHS et le Certificat d'Obtention Végétale (COV) qui régit le droit de propriété intellectuelle sur les variétés. Ces dispositifs créent une forte dépendance des agriculteurs aux fournisseurs, à leurs produits et à leurs conseils (Bonneuil and Thomas 2009).

Le dispositif technique de la DHS et le coût des tests rendent cette barrière difficilement franchissable pour les semences produites par des agriculteurs. Ceux-ci proposent de plus une définition alternative et concurrente à la définition fixiste. Celle de variété population dont la base génétique évolue par leur mode de sélection et multiplication in situ. Les agriculteurs jouent ainsi sur les complémentarités au sein d'une population, et non sur une variété fixe. Ceci les rend hétérogènes tant dans leur expression phénotypique que leur base génétique. Les verrous biologiques et réglementaires construisent un marché captif et induisent une érosion variétale. Mais elle suscite critiques, propositions et pratiques innovantes de type non industrielles.

Actuellement 72 Etats (sur 197 Etats) régissent leur marché national par le dispositif COV initié par la France. La révision du COV en 1991 supprime le droit pour les agriculteurs d'utiliser les fruits de la récolte précédente, sans payer de royalties (Reis and Antipolis 2011) mais maintient le droit, pour les sélectionneurs, d'utiliser librement une variété protégée pour développer leurs recherches. Ce qui signifie qu'il ne s'agit pas d'un droit sur le contenu génétique, mais bien sur un phénotype identifié par les caractères définis (Boy 2008).

La proposition de révision du « Règlement du Parlement Européen et du Conseil relatif à la production et à la mise à disposition sur le marché de matériel de reproduction des végétaux» organise une tolérance restrictive par la taille et la possibilité de leur contrôle (art 33, 36,57) des semences non industrielles. Les ouvertures ne sont pas adaptées aux réalités et capacités des acteurs produisant des semences non-industrielles. En particulier les choix techniques sont problématiques pour des acteurs associatifs clefs de la préservation-multiplication de semences non industrielles tel que Kokopelli, Arche de Noa, Peliti.

Les modifications du COV et la proposition de révision du règlement européen n'offre donc pas de possibilité réelle d'une reconnaissance juridique plus large des semences non-industrielles.

De plus, depuis les années 90', les brevets européens sur les gènes natifs viennent déstabiliser le régime semencier en partant d'une autre logique, celle de la biotechnologie. Le marqueur moléculaire permet, pour ce dispositif de propriété, de valider ou d'invalider la présence de gènes dont la propriété est détenue par un brevet. C'est un outil plus puissant que le COV pour définir la propriété des semences. En effet, il trace les variétés sur base de leur génotype. De plus, le détenteur d'un brevet peut interdire à un concurrent d'utiliser son matériel pour développer d'autres variétés, puisque l'objet de son travail de sélection est basé sur le séquençage de gènes.

 

2. Comment les critiques et propositions nourrissent une transition ?

Etant donné que le régime semencier ne reconnait ni la valeur agricole (mais aussi environnementale) des variétés non industrielles, ni l'intérêt de développer un tel travail de sélection, les acteurs des semences industrielles développent des stratégies qui vise à s'autonomiser du régime semencier. A ce stade de notre recherche nous en avons identifiées trois :

1. La réinstauration au sein du COV du privilège des agriculteurs. Ce combat est très présent en France, suite à la réaffirmation du législateur en 2011 de l'obligation de verser des royalties. Est-ce pour autant un combat d'arrière-garde, comme le qualifient certains acteurs luttant pour la suppression du Catalogue ?

2. La reconnaissance dans la législation semence européenne des pratiques et semences non-industrielles, sans les cantonner à une niche sous contrôle. Au sein de la proposition de modification de la législation européenne, les tentatives des DG ENVI et AGRI n'ont pas réussi à faire accepter les mesures qui ouvriraient des pistes dans ce sens. Au contraire, leurs tentatives se retournent contre l'autonomie, car les exceptions entrent dans des cadres technico–juridiques plus restrictifs qu'au sein de la législation actuellement. Dés lors, la voie de la reconnaissance légale n'est pas assurée.

3. En–dehors du cadre législatif se développe des innovations reposant sur la notion de semences comme un bien commun, comme « communs agricoles » (Thomas 2013). Deux types de rapport aux droits s'y rencontrent. Le premier réfute la nécessité de combattre des droits de propriété intellectuelle par d'autres droits. Elle considère qu'une large diffusion et une « bonne » description sont les garants de l'appropriation. Mais comment équiper la qualification des semences de ces variétés population ? Au contraire, le second type de rapport affirme la nécessité d'un droit collectif via des creative commons, telles les licences libres de droits dans le secteur du logiciel (Kloppenburg 2012). 

Ces trois stratégies issues de la dynamique des semences non-industrielles, reflètent les divergences de point de vue concernant le rapport au régime (résistance VS collaboration). Ce sont ces différentes formes de rapports au régime qui construisent des modes organisationnels différents. Ainsi, alors que l'association Kokopelli opte pour une stratégie radicale d'opposition au Catalogue, le regroupement d'entreprises semencières artisanales, Croqueurs de Carottes,

estime qu'il n'y a pas le choix, si ce n'est de faire avec, et donc, d'y créer un espace pour les semences non-industrielles. Ces différences sont importantes à comprendre, et à intégrer dans le mode de gestion semencière. Chacune amène à repenser le régime semencier non plus par l'exclusion, mais par l'inclusion, non plus par la domination de la standardisation, mais par la spécificité reconnue.

3. Quelles recherches, quelles innovations et quel mode de pensée pour encourager la transition écologique du régime semencier ?

Les enjeux de circulation des semences, face au verrouillage du régime, nous questionnent sur la coexistence de différents systèmes semenciers sociotechniques (Latour 1989). Actuellement, deux tendances mettent sous tension la légitimité du régime semencier, même si jusqu'à présent le cadre régime se maintient. D'un côté, les semences biotechnologiques, par le brevet, conçoivent les semences à l'échelle globale c'est-à-dire de manière décontextualisée. De l'autre côté, s'exprime, à travers différentes initiatives de contestation et de proposition, une demande de relocalisation et de reconnaissance de la diversité génétique et sociale, sans pour autant

parvenir à modifier la législation en vigueur. Ainsi, cinq entreprises artisanales, multiplicateur biologique de semences potagères (dont Semailles en Wallonie), se sont réunies depuis 2008 au sein des Croqueurs de Carottes, afin d'agir en faveur des semences non-industrielles, et entre autre envers l'interprofessionnel des semences (le Groupement National Interprofessionnel des Semences- GNIS). Citons aussi l'association bretonne Koal Khoz. Elle rassemble des maraîchers et des jardiniers depuis 2007 pour défendre au sein du groupe l'autonomie par la mise en circulation de semences et de pratiques semencières. Enfin mieux connue du grand public, l'association française Kokopelli qui, conserve et distribue depuis 1999 plus de 3500 anciennes variétés. Elle est également connue pour ses positions intransigeantes envers le régime semencier, notamment lors de plusieurs procès.

Ces expériences s'ancrent dans des réseaux de proximité qui ne se définissent pas géographiquement mais par une communauté d'usage, de pratiques échangeant non seulement des semences, mais également des expériences, des connaissances, des pratiques, du lien. Ainsi, par l'intermédiaire des semences, se construisent des réseaux réticulaires contextualisé, car situés. Ils s'opposent à un régime décontextualisé, tant des semences via les processus exsitu de laboratoire, mais aussi à des pratiques par le processus de standardisation. Les producteurs aliment une hétérogénéité évolutive de leurs variétés « population » et de leurs modes organisationnels. Ainsi, la mise en circulation de semences population, donne vie aux semences et au réseau. Se pose la question de l'articulation entre les réseaux spécifiques, leur compatibilité, sans s'écarter du mode organisationnel défini par l'interaction avec l'objet intermédiaire qu'est la semence.

Une piste future ne serait-elle pas de créer un cadre législatif qui permette la coexistence entre des systèmes aux échelles et enjeux différents ? Cette approche ne doit –elle pas admettre la possibilité de coexistence, entre le système que défend le régime et les semences non-industrielles, face à un contexte où le modèle biotechnologique, par son effet déstabilisant pour le régime, peut tout à la fois créer les conditions de cette transformation et/ou l'empêcher en s'imposant comme unique modèle du futur. Pour contribuer à ce projet, il est nécessaire de spécifier les critiques, propositions des initiatives non-industrielles. Ceci nécessite aussi de qualifier leur mode de caractérisation des semences, leur manière de faire circuler leurs semences, ainsi que leurs rapports juridico politique à la législation.

Au-delà de l'enjeu propre aux semences se pose une question plus fondamentale. Deux concepts sont en effet mobilisés pour réfléchir d'autres possibles. Le concept de « communauté de pratique » pour échapper à l'enfermement à un territoire définit géographiquement comme « local » ou « régional » et celui de « Commons » pour penser un régime spécifique de circulation. Ces concepts viennent respectueusement de la sociologie des sciences et de l'économie (hétérodoxe). Dès lors se pose la question de savoir si des concepts « scientifiques » peuvent légitimer ces nouvelles approches. Au-delà de leur potentiel analytique, peuvent-ils être mobilisés pour légitimer des approches voire des stratégies concernant les semences non industrielles ?

 

BIBLIOGRAPHIE

Bonneuil, C. and F. Thomas (2009). Gènes, pouvoirs et profits. Recherche publique et régimes de prodcution des savoirs de Mendel aux OGM. Lausanne.

Boy, L. (2008). "L'évolution de la réglementation internationale : vers une remise en cause des semences paysannes ou du privilège de l'agriculteur." Revue internationale de Droit Economique t.XXIII, 3: 293 - 313.

Commission_Européenne (2013). Proposition de Règlement du PArlement Européen et du Conseil relatif à la production et à la mise à disposition sur le marché de matériel de reproduction des végétaux (règlement sur le matériel de reproduction des végétaux).

COM(2013) 262 final. Bruxelles. 2013/0137 (COD): 157.

Hecquet, C. (2013). Non industrial seeds : practices of "cultivated biodiversity" call into question the "fixism" of the agricultural model. XXVth ESRS Congress. Florence, Italy, ESRS.

Kloppenburg, J. (2012). Seed Sovereignty. The promise of open source biology. Food Sovereignty. Reconnectiong food, Nature and Community, Fernwood Publishing: 152-167.

Latour, B. (1989). La science en action. Introduction à la sociologie des sciences. Paris, La Découverte.

Papy, F. and I. Goldringer (2011). "Cultiver la biodiversité." Courrier de l'environnement de l'INRA N°60: 55-62.

Reis, P. and N. S. Antipolis (2011). Les exceptionsLes exceptions au monopole dans le Traité UPOV : le cas des semences de ferme ou le prétendu « privilège de l'agriculteur » au monopole dans le Traité UPOV : le cas des semences de ferme ou le prétendu « privilège de l'agriculteur ». Le droit des relations extérieures de l'Union européenne après le Traité de Lisbonne,. Larcier.

Thomas, F. (2013). Droits de propriété intellectuelle et « Communs agricoles ». Comment repenser l'articulation entre biens privés, biens collectifs et domaine public ? I.


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