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Les initiatives de transition : L'émergence d'initiatives citoyennes innovantes pour mettre en place la transition vers un mode de vie plus résilient
Josué Dusoulier  1@  
1 : Réseau Transition asbl  (Réseau Transition asbl)  -  Site web
Rue du Marteau 19, 1000 Bruxelles -  Belgique

Résumé

A l'heure où notre civilisation occidentale est soumise à des défis sans précédents, où de plus en plus de spécialistes constatent un épuisement accéléré des ressources, des groupes de citoyen(ne)s n'attendent pas pour commencer à transformer leurs quartiers, leurs villes, leur économie locale et leur mode de vie de façon créative, solidaire et enthousiasmante... Ce sont les initiatives de transition.

Les initiatives de transition, ce sont des groupes de citoyens qui ont décidé de prendre les choses en main. Dans un même village, un même quartier ou une même ville, ils commencent tout simplement à agir. Leur action vise une adaptation aux changements climatiques et à la raréfaction des ressources naturelles, dont la fin de l'ère de l'énergie abondante et bon marché est particulièrement critique pour nos sociétés industrielles. Ils se préparent aussi à la fin de la société basée sur la croissance économique, car celle-ci ne fonctionne plus face à ces contraintes auxquelles nous sommes de plus en plus soumis.

Ces collectifs citoyens ont décidé de choisir au lieu de subir, de construire au lieu de détruire. Ils se basent sur des recommandations scientifiques pour comprendre la situation, les traduisent dans un langage plus accessible et saisissent l'opportunité de réinventer et mettre en place dès maintenant des modes de vie et une économie locale moins énergivores et plus résilients1. Après une période transitoire pas forcément simple, ces modes de vie pourraient être beaucoup plus enthousiasmants, justes et vivifiants que l'actuel.

Ces initiatives ne prétendent pas avoir la seule et unique solution à tous les problèmes. Il s'agit plutôt d'une expérimentation humaine à grande échelle, qui teste des solutions adaptées aux contextes locaux. Ainsi, chaque initiative de transition se base sur quelques principes de base pour construire sa propre vision d'un futur préférable et commencer à la mettre en œuvre en accordant une grande importance au respect de l'autre, au plaisir de faire, d'apprendre et d'être ensemble.

Le cadre théorique du mouvement des initiatives de transition

Les initiatives de transition ne sont pas des centres de recherche académique, mais des groupes de citoyens qui expérimentent, par essai et erreur, dans leur vie quotidienne. Pour concevoir leurs projets, ces groupes se basent sur les principes de la Transition, les caractéristiques des systèmes résilients et les principes éthiques et de conception de la permaculture. Ce sont les principes auxquels le Réseau Transition asbl et le Transition Network (le réseau international) mettent en pratique de telle manière que les initiatives et d'autres personnes puissent aussi les adopter.

Nous n'avons pas la possibilité de vous détailler ici tous ces principes, mais en voici quelques éléments de base : Tout d'abord, nous avons besoin d'une vision de ce que nous voulons pour demain, une vision du monde susceptible d'aider les gens à s'engager et de transformer notre culture. Un second principe est de donner une information de qualité, et de faire confiance aux personnes pour prendre les bonnes décisions en ce qui les concerne. Troisièmement, pour réussir, les Initiatives de Transition ont besoin d'un rassemblement sans précédent de la grande diversité de la société. Comme quatrième principe, les initiatives partagent leurs succès, les échecs, les idées et les connexions aux différentes niveaux du réseau transition, de manière à mettre en place un large partage de l'expérience collective qui favorise la diffusion et le développement rapide des solutions. Un cinquième principe est l'importance fondamentale de développer la résilience. Sixièmement, la transition est à la fois intérieure et extérieure. Les défis auxquels nous sommes confrontés ne sont pas seulement causés par une erreur dans nos technologies (transition « extérieure »). Ils sont aussi un résultat direct de notre vision du monde et de notre système de croyance (transition « intérieure »). De même, l'impact de l'information sur l'état de notre planète et l'avenir de l'humanité génère de la peur et de douleur qui peuvent être à la base de déni. Les projets de transition favorisent et soutiennent donc aussi le changement « intérieur ». Un septième principe est de mettre en place des solutions qui sont de la même taille que le problème. Des messages disant que changer les ampoules, recycler et conduire des voitures plus petites peut être suffisant provoquent un état de «dissonance cognitive». Vous avez reçu une réponse, mais vous savez qu'elle ne va pas résoudre le problème. Enfin, le principe de subsidiarité. L'intention du mouvement de transition n'est pas de centraliser ou de contrôler la prise de décision. Nous travaillons avec tout le monde de sorte qu'elle est pratiquée au niveau le plus approprié, le plus pratique et le plus autonomisant. Avec comme inspiration la capacité des systèmes naturels à l'auto organisation. Pour aller plus loin sur ces principes et découvrir ceux de la permaculture et des systèmes résilients : http://www.reseautransition.be/la-transition/les-principes-de-base/).

Notre diagnostic : Quelques contraintes aux origines de la transition

Parmi les défis cités plus haut, deux sont considérés comme centraux dans notre partie du monde, car irréversibles à l'échelle de plusieurs générations humaines : les changements écosystémiques2 et la fin de l'énergie abondante et bon marché.

Au centre de la question énergétique : le pétrole. Cette source d'énergie est centrale dans nos économies, qui en sont ultradépendantes. Si la question du « pic pétrolier » reste polémique dans les médias, elle l'est beaucoup moins à l'analyse des faits que font les experts indépendants. La production de pétrole va décliner irrémédiablement, soumettant nos économies aux limites de la croissance. Les enjeux énergétiques étant mondiaux, il convient d'analyser les alternatives d'un point de vue global. Et là encore, ni les autres énergies fossiles (gaz, charbon), ni l'énergie nucléaire, ni les énergies renouvelables n'ont le potentiel de maintenir notre mode de vie intact. A l'avenir nous devrons donc consommer progressivement moins d'énergie.

Si l'on considère ces défis en parallèle avec les changements climatiques, on se rend compte que ceux-ci sont causés par notre usage des énergies fossiles (pétrole, gaz et charbon). Des spécialistes nous disent que nous devrions laisser sous terre entre 2/3 et 80 % des réserves connues d'énergies fossiles, si nous voulons limiter l'impact des changements climatiques à une hausse de température de 2°C maximum. La « bonne nouvelle », c'est que si nous consommons progressivement moins d'énergie fossile et que nous apprenons à préserver et restaurer les ressources naturelles, nous aurons un impact positif sur les changements climatiques et aussi sur la diminution de biodiversité. C'est de ce constat que démarrent les Initiatives de Transition.

Le point de départ des Initiatives de Transition

Parties d'une initiative de quartier à Totnes (sud des Royaume Uni) en 2006, ces initiatives sont inspirées des expériences d'un cours de durabilité appliquées (permaculture3) animé par Rob Hopkins. Avec ses étudiants d'abord et ses voisins ensuite, il a conçu un processus citoyen simple, positif, apprenant, adaptable et participatif qui s'est diffusé incroyablement vite. Ces initiatives se multiplient aujourd'hui à travers le monde. Elles sont réunies dans un réseau (Transition Network) qui permet de partager des expériences qui se développent ailleurs dans le monde. Après seulement 8 ans, plus de 1200 initiatives de transition issues de 43 pays se sont déjà inscrites sur le réseau, et on estime qu'au moins autant ne s'y sont pas encore inscrites !

La résilience au centre des projets

L'idée centrale des initiatives de transition est éminemment positive. Il s'agit de développer la résilience du territoire et de ses habitants. Le but étant de d'être plus à même de s'adapter aux bouleversements consécutifs aux chocs énergétiques, climatiques et économiques. Les projet vont donc par exemple viser à rendre l'économie locale plus robuste, vivante et créatrice de bien être, à diminuer préventivement notre consommation énergétique tout en (re)créant du sens, du lien social et de la solidarité.

Les premiers projets des initiatives de transition touchent souvent à la relocalisation de l'alimentation. L'alimentation industrielle, que l'on trouve en supermarché, ne rémunère généralement pas les producteurs de façon équitable et est le plus souvent transportées sur des milliers de kilomètres. Elle est aussi responsable d'une grande part des émissions de gaz à effets de serre qui causent les changements climatiques. Alors qu'en cultivant localement selon des méthodes agroécologiques4 (ou permaculturelles) la plus grande partie de ce qu'on va manger, on peut mieux connaître et soutenir les producteurs, diminuer le gaspillage énergétique et les émissions de CO2, préserver la biodiversité et manger plus sainement.

En pratique, les projets de potager collectif, de partage de jardins, d'incroyables comestibles5 ou de groupes d'achat solidaires fleurissent assez vite un peu partout et créent des dynamiques sociales et identitaires très positives. On voit des plantations d'arbres, comme à Soignies où un verger dont les arbres sont parrainés par les habitants a été planté sur un terrain public, dans un quartier d'habitations sociales. D'autres projets plus ambitieux voient aussi le jour pour dynamiser l'économie locale. Par exemple à Liège où un projet de ceinture alimentaire autour de la ville prévoit la reconversion professionnelle de demandeurs d'emploi dans la production d'alimentation locale. A Ath, l'initiative de transition s'est associée avec d'autres acteurs locaux pour développer la production et la commercialisation en circuits courts de légumes bio et de céréales.

Un processus utile aussi dans les pays en développement

Au Brésil, la première Favela en Transition est apparue en 2010. Les habitants y recréent du lien social, lancent des projets éducatifs et produisent une partie de leur alimentation... A Greyton, en Afrique du Sud, on développe des systèmes d'isolation pour les maisons à partir de matériaux de récupération, et à l'école on apprend l'art du potager, ce qui augmente la souveraineté alimentaire et a aussi l'avantage de fournir un repas de midi équilibré pour les enfants.

Investir dans l'économie locale

Plutôt que de confier l'argent et l'épargne aux secteurs financiers non soutenables, les initiatives de transition proposent de les utiliser pour soutenir l'économie locale et les projets locaux. Le retour sur investissement est alors plus visible et éthique. Il se traduit aussi dans l'amélioration du cadre de vie et de la cohésion sociale.

Par exemple, dans la région namuroise, l'initiative de la Gelbressée en Transition s'est associée avec d'autres acteurs locaux pour créer la coopérative citoyenne « Champ d'énergie », avec pour but de se réapproprier la production d'énergie. Toujours chez nous, Grez Doiceau en transition développe actuellement un projet de coopérative intégrale : Get-it. Qui gérera une banque et une monnaie locale, des micro crédit solidaires et servira d'incubateur pour des projets économiques locaux et résilients. Autre exemple, à Brixton, les membres de l'initiative ont créé « Brixton Energy » et récolté de l'argent auprès des habitants afin de financer l'installation de panneaux photovoltaïques sur les toits d'immeubles de cette partie de Londres.

Les limites

Une des limites des initiatives de transition est qu'elles sont la plupart du temps basées sur le bénévolat, et que l'énergie bénévole n'est pas inépuisable. Aujourd'hui, nombreuses sont les personnes qui ne comprennent pas pourquoi certains emplois qui participent à la création des problèmes sont tellement valorisés et bien payés, voire subventionnés, alors qu'une action citoyenne et solidaire pour trouver des solutions doit se baser sur du bénévolat. D'où le développement des projets d'économie locale cités plus haut pour soutenir le changement.

Une autre limite vient du côté « local » des initiatives, car il y a aussi un besoin de transformer les infrastructures et de trouver des solutions à plus grande échelle pour certains éléments (on ne va pas commencer à fabriquer des couteaux dans toutes les rues). Ce type d'échelle demande une mise en réseau entre initiatives, ce qui commence à apparaître avec par exemples les projets de ceinture alimentaire. Mais une collaboration accrue avec les pouvoirs publics locaux et régionaux et les institutions est indispensable, ce qui n'est pas toujours simple pour des groupes bénévoles, ni d'ailleurs pour les institutions ou les élus.

L'avenir est de plus en plus incertain, mais reste ouvert

Notre monde est actuellement soumis à des défis multiples. Un peu partout, des personnes ordinaires saisissent cette extraordinaire opportunité de réinventer nos modes de vie avec créativité et imagination. Ils se réunissent en initiatives de transition et expérimentent à petite échelle une démarche d'innovation sociale, par la mise en place d'un futur choisi, positif et préférable au présent. Les projets qui fonctionnent se diffusent à travers un réseau international.

S'il n'a pas la prétention de résoudre seul tous les problèmes, ce mouvement citoyen mondial expérimente chaque jour des solutions. Nous ne savons pas où tout cela nous mènera, mais y participer redonne de l'espoir et du sens à nos vies en ces temps d'incertitude.

Bibliographie

HOPKINS R. (2014), Ils changent le monde! – 1001 initiatives de transition écologique, éditions Seuil, Préface d'Olivier De Schutter.

HOPKINS R. (2011), The Transition Companion, Making your community more resilient in uncertain times, Green Books

HOPKINS R. (2010), Manuel de transition , De la dépendance au pétrole à la résilience locale, Les éditions Ecosociété

HOLMGREN D. (2009), Future Scenarios: How Communities Can Adapt to Peak Oil and Climate Change, Chelsea Green Publishing Company

SERVIGNE P. (2014), Nourrir l'Europe en temps de crise, vers des systèmes alimentaires résilients, édition Nature & Progrès

HEINBERG R. (2012). La fin de la croissance, s'adapter à notre nouvelle réalité économique. Éditions Demi-lune

MEADOWS D., MEADOWS D. & RANDERS J. (2004), Les limites à la croissance (dans un monde fini), Rue de l'échiquier : Le rapport du club de Rome, trente ans après

1La résilience d'un territoire, d'un (éco)système, d'un groupe... est sa capacité de s'adapter aux changements, aux chocs, tels que les changements climatiques, une pénurie d'énergie ou la fin de la croissance, tout en continuant à fonctionner.

2Les changements écosystémiques se déclinent principalement à travers les changement climatique et l'érosion massive de la biodiversité.

3La permaculture est une méthode de conception de lieux de vie soutenables et résilients dans laquelle l'homme apprend à interagir avec la nature. Elle peut s'appliquer à un jardin, un quartier, un groupe, une organisation...

4L'agroécologie est une approche globale de l'agriculture qui comprend une reconnaissance des savoirs et savoir-faire paysans, tout en utilisant de façon respectueuse les ressources de la nature, notamment via le Biomimétisme. La démarche vise à associer le développement agricole à la protection de l'environnement, voire à sa restauration le cas échéant (inspiré de wikipédia).

5Les « incroyables comestibles » sont des groupes de citoyens qui décident de cultiver des légumes et de les mettre à disposition gratuite des passants sous le principe de la nourriture à partager. Cette action de partage a pour but de participer à la relocalisation de la production de nourriture et de changer notre vision de l'alimentation.



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