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«Arbiter» entre santé et tourisme : les dérives non viables de la crise grecque
Hélène Clément-Pitiot  1@  , Efstasia Antiochou@
1 : en sciences économiques  (centre d'étude des modes d'industrialisation de l'Ecole des hautes études en sciences sociales)  -  Site web
Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS)
105 bd Raspail 75006 Paris -  France

La transition durable fait face à des contraintes majeures nées de la persistance de la crise économique et du possible rebond de la crise financière. Il est important de mettre en lumière les effets de la crise qui induisent un retard analytique conceptuel et pratique sur le développement durable. On choisit dans cette contribution d'examiner la situation en Grèce relativement à deux domaines de pertinences économiques (santé et tourisme). Ce travail qui fournit une caricature qui a force d'exemple permet de faire saillir les paradoxes issus des conventions (1) et des cadres d'analyse traditionnels. Ces paradoxes et les mentalités (conventions) qui les justifient caractérisent les effets pervers destructeurs de l'économie et de la société en oeuvre dans la société grecque. Plus amplement ne préfigurent-il pas aussi des transformations de l'économie européenne en réponse à la crise en cours. Les chances d'une transition durable sont elles hypothéquées par l'inertie et la régression sociale? Quel développement viable pourrait émerger et selon quel processus? 

Tenter d'apporter des réponses à ces questions conduit à développer une approche transdisciplinaire, au delà de l'économie normative et formelle.

 

Les dommages collatéraux de la crise grecque : la santé

Dans son évaluation de l'économie grecque de 2014, le Fonds Monétaire International affiche un optimisme sur l'avenir de la Grèce. Des signes de stabilisation économique se liraient dans le fait que la chute du PIB semble être moins forte en 2014. Les chiffres du chômage commenceraient eux aussi à baisser ? La réalité semble infirmer l'optimiste du FMI ; si les chiffres officiels du chômage baissent c'est peut être aussi que l'émigration des jeunes est massive parce que les perspectives deviennent de plus en plus sombres? L'émigration serait alors une solution viable individuellement.

Des scènes d'affrontement et de violence dans les villes grecques ne sont pas rares, elles témoignent de conflits réels au sein de la société. Dernièrement la police a été envoyée pour stopper violemment des handicapés en cortège vers le ministère des Finances, protestant contre la suppression des allocations et pour certains, l'expulsion du système de Santé publique. Comment en est-on arrivé là en Grèce?

En 2000, la Grèce figurait en quatorzième position dans le classement de l'OMS, loin devant la Suède (23e) ou l'Allemagne (25e), -sur 191 pays étudiés en fonction de la qualité des soins médicaux dispensés (Rapport sur la santé dans le monde de l'an 2000 de l'OMS)-. Qu'en est il actuellement ? Depuis la crise de 2010 la Grèce est soumise à des programmes de redressement économiques de la Troïka (Banque Centrale Européenne, Commission Européenne et Fonds Monétaire International) pour sauver le pays du défaut et ainsi ménager les créanciers. Une bonne partie de ceux-ci sont les banques occidentales qui ont mal mesuré les risques spéculatifs de leur engagements. Elles doivent être sauvées pour préserver le système monétaires et ce malgré l'aléa de moralité et l'incitation au laxisme qui en découle. C'est une convention partager par les élites et les institutions européennes.

Dans le programme d'austérité imposée à la Grèce, une baisse des coûts dans le système de santé grec a été visées sans égards aux effets sociaux et sanitaires. Les dépenses de santé ont été plafonnées à 6 % du PIB dès 2010, - suivant les données de la Banque Mondiale, il s'agit d'un niveau comparable à celui du Burkina Faso (Noëlle Burgi (2014)). Les grandes lignes de la transformation du système de santé grec sont : la réduction de la masse salariale de 75% et la gestion entrepreneuriale des hôpitaux public, préfigurant des privatisations à venir. Elles sont et seront les conséquences directes des fermetures d'entités de soins publics. Par exemple, 9 hôpitaux d'Athènes et Thessalonique (deuxième ville du pays) ont été transformés en centres de soins aux prestations réduites. Près de 10 000 lits ont disparu et le recrutement du personnel hospitalier a été gelé. Tous les centres de soins de type dispensaire (santé primaire) ont fermé.

Certains observateurs (2) émotionnellement engagés n'hésitent pas à parler de génocide économique lent où la propagande, la terreur, le népotisme et la corruption sont les instruments de la gouvernance... Une distance majeure semble se creuser avec l'ambition de la transition durable telle qu'on souhaite la voir définie? N'est-ce qu'une illusion de perspective, de concept et de vocabulaire?

Le tourisme une orientation viable pour sortir de la crise ?

 

Selon la stratégie macroéconomique de la Troïka qui supervise l'économie grecque, le succès en matière de croissance et d'emploi

 repose sur la constitution d'un excédent primaire permanent. Le solde de la balance courants doit être largement positif. Le développement des activités de tourisme en Grèce doit favoriser l'amélioration des soldes macroéconomiques, telle est bien la perspective annoncée, issue du raisonnement économique standard, toute chose égale par ailleurs.

 

Dois-t on se réjouir que depuis 2009 le solde courant se soit bien amélioré du fait des résultats de la balance commerciale avec l'effondrement tant des exportations que des importations? Dès le début de la récession, les exportations de services se sont aussi effondrées et le pays n'a toujours pas retrouvé le niveaux de 2008 (mesurés aux prix actuels).

 

Un secteur traditionnel d'exportation en Grèce, la construction navale a été progressivement délocalisée ; l'importation de bateaux, notable dans les résultats récents, peut être associée a un regain des activités de loisir et de tourisme. Mais le constat est que ce regain s'accompagne d'une dépendance plus forte vis à vis de production et de capitaux étrangers. 

 

Il n'est donc pas si évident que le regain des activités touristiques enregistrés dernièrement en Grèce ait un vrai impact positif sur la balance courante. Il semble que son influence sur l'emploi soit aussi décevante contrairement aux idées reçues. Une forte restructuration a lieu dans le secteur pour accroître drastiquement la productivité, limitant de ce fait la capacité de fournir des emplois. 

 

Un paradoxe insoutenable

La perte de capital humain du au chômage(3) et à l'émigration est un des facteurs majeurs qui handicape la reconstruction de l'économie grecque et accuse le vieillissement de la population. L'arbitrage «santé» contre perspective du développement touristique tel que le propose la Troïka s'analyse comme un paradoxe insoutenable. Il ne répond qu'à des considérations comptables de court terme au détriment d'enjeux de long terme pour le pays.

 

La transition qui s'amorce en Grèce suite à la crise rappelle, à bien des égards, les processus qu'ont connu les économies de la Bulgarie ou de la Moldavie lors de la transition à l'économie de marché. Les thérapies de choc et l'austérité ont des implications comparables sur le bien être des populations (cf. The Body Econbomics... David Stuckler et Sanjay Basu (2013))

 

Le cas d'école de la Grèce permet de s'interroger sur les sources encore disponibles dans ce panorama pour qu'un rebond socio économique rendent possible un choc de transition durable, c'est un challenge qui se pose de plus en plus globalement dans l'Europe du Centre et du Sud.

 

 Notes

(1) au sens de l'Ecole des conventions française, «La théorie des conventions est un mouvement transdisciplinaire, dont l'innovation consiste à créer un lien entre une économie institutionnaliste et une sociologie pragmatique. En France, cette approche s'est mise en place par le biais d'une collaboration entre des économistes, des historiens et des sociologues afin d'apporter une solution aux problèmes soulevés par l'analyse des institutions et organisations économiques et de l'action (pas uniquement) économique.» (Rainer Diaz-Bone et Laurent Thévenot (2010))

(2) L'historien ethnologue grec franco-phone Panagiotis Grigoriou souligne que «La politique de la Troïka, est un génocide économique lent et la “gouvernance” Samaras se concrétise alors par la propagande, la terreur ; porteuses de mort, de népotisme et de corruption».

(3) le chômage total est estimé à 26,8% de la population active (mars 2014)

 

Bibliographie liminaire

 

 

AMECO (European Commission Annual Macro-Economic Database). open-data.europa.eu/en/data/dataset/ameco. Last accessed July 2014.

 

Bank of Greece. www.bankofgreece.gr. Last accessed July 2014. ElStat (Hellenic Statistical Authority). www.statistic.gr. July 2014. 

 

Noëlle Burgi, « Grèce. Une réforme de la santé aux effets pervers », P@ges Europe, 15 avril 2014 – La Documentation

française © DILA

 

Rainer Diaz-Bone (Université de Lucerne) et Laurent Thévenot (EHESS Paris), « La sociologie des conventions. La théorie des conventions, élément central des nouvelles sciences sociales françaises », Trivium [En ligne], 5 | 2010, mis en ligne le 10 janvier 2010, consulté le 15 décembre 2014. URL : http://trivium.revues.org/3626

 

IMF (International Monetary Fund). 2014. “Greece: Fifth Review under the Extended Arrangement under the Extended Fund Facility.” Country Report 15/151. Washington, D.C.: IMF. June.

 

Lachman, D. 2014. “Renewed Optimism about Greece Is Well Overdone.” Washington, D.C.: American Enterprise Institute. June 27.

 

OECD.Stat Extracts. stats.oecd.org. Last accessed July 2014.

 

Papadimitriou, D. B., M. Nikiforos, and G. Zezza. 2013. A Levy Institute Model for Greece. Research Project Report. Annandale-on-Hudson, N.Y.: Levy Economics Institute of Bard College. July.

 

Papadimitriou, D. B., M. Nikiforos, and G. Zezza. ,2014. Prospects and Policies for the Greek Economy. Strategic Analysis. Annandale-on-Hudson, N.Y.: Levy Economics Institute of Bard College. February.

 

Papadimitriou, D. B., M. Nikiforos, and G. Zezza. 2013. A Levy Institute Model for Greece. Research Project Report. Annandale-on-Hudson, N.Y.: WILL TOURISM SAVE GREECE? Strategic Analysis, August 2014ь Levy Economics Institute of Bard College.August 2014

http://www.levyinstitute.org/pubs/sa_gr_8_14.pdf

 

David Stuckler et Sanjay Basu (2013), The Body Economic: Why Austerity Kills: Recessions, Budget Battles, and the Politics of Life and Death, New York: Perseus Books, 2013, 199 pages

 

 



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