- Resituer l'enjeu de la participation dans un monde en transition :
Le monde tel qu'on le connait s'effrite. Notre univers social, culturel, propulsé par le quadrimoteur science/technique/profit/économie (Morin, 2004) huilé à l'individualisme futile (Taylor, 1992) montre des signes de rupture. Pour plusieurs penseurs (Chomsky, 2004 ; Chossudovsky, 2005 ; Freitag, 2008 ; Labrecque, 2008 ; Morin, 2007 ; Sachs, 1996), le modèle de développement économique et social dans lequel l'occident évolue depuis la fin du XVIe siècle (Rist, 2001) fait aujourd'hui face à ses apories. Cela se traduit notamment par une dégradation de la nature, une empreinte écologique sans précédent et une globalisation des injustices et des inégalités (Chossudovsky, 2005).
Si le constat de crises amène à penser un monde nouveau comme sortie de crises, quelle sera la filiation du nouveau et de l'ancien ? Qu'est ce qui en constituera l'héritage ? Quelles seront les articulations et perméabilités entre l'ante et le néo, quel est le contour du monde nouveau supposé contenir les démarches et les outils pour un développement vraiment soutenable ? Du Sud au Nord, des zones rurales aux centres urbains historiques, quel en est le dénominateur commun ?
L'hypothèse selon laquelle la participation serait ce terreau et vecteur principal d' adaptation aux paradigmes transitionnels, nous amène à réinterroger les démarches et outils de la participation dans la réussite des projets de développement durable. Mais quel est le visage de la participation évoqué et invoqué dans notre propos ? pourquoi et comment la participation ?
La participation constitue un ensemble de pratiques visant la prise de décisions communes en commun. Elle véhicule une certaine éthique de la gouvernance émancipatrice des populations locales par l'apprentissage démocratique. La participation ne peut être réduite à des évaluations quantitatives des processus, résultats d'une injonction du « tout participatif » mondialisé des systèmes politiques démocratiques. Une participation ainsi instrumentalisée recomposerait des pouvoirs dominants des élites en les légitimant, sous couvert de participation sans effet transformateur.
Nous souhaitons explorer une forme de «participation » qui s'adapte au contexte changeant et imprévisible par des processus participatifs par le dialogue (PPD) (Segers, 2014). Ces derniers permettent de renforcer notre capacité à partager des idées dans un esprit non-compétitif et altruiste. Par la décolonisation de l'imaginaire et la suspension du jugement (Bohm, 1991), les PPD favorisent l'empowerment des personnes dont les influences normatives, systémiques, éducationnelles, culturelles peuvent restreindre leur contribution au groupe ou à la société. En ce sens, les PPD visent l'identification de leviers de pouvoirs pour les populations ou les parties intéressées favorisant leur capacitation. Par là-même, ils assurent une (re) distribution des pouvoirs, une articulation et une multiplication des pouvoirs dans le but d'expérimenter de nouvelles formes de gouvernance, voire une re-définition.
- 2. La nécessité de se former et le besoin en formation : un référentiel de compétences pour des formations aux approches participatives et son déploiement
Nous partons du postulat que la « participation » s'apprend, et accompagner des processus participatifs s'apprend aussi. Les formations qui tentent de répondre à ces défis par des méthodologies « prêtes à l'emploi » parfois consensuel ou de type « boîte à outils » ne suffisent pas pour former des professionnel-le-s à la hauteur des enjeux. En effet, compte tenu de la complexité de la participation, ces professionnel-le-s sont confronté-e-s au «comment » et à la question centrale de la posture en vue de jouer un rôle de « catalyseur » des processus participatifs. Or, comment former des « agents » capables d'initier, accompagner, renforcer, suivre et faire évaluer des processus participatifs dans l'esprit des PDD ?
L'enjeu central des formations aux approches participatives est la combinaison d'une approche normative de l'étude des transferts avec une approche éthique concernant la posture du praticien en processus dialogique afin d'envisager les différents temps du processus participatif.
Les travaux de notre groupe se basent sur une démarche de recherche-action à partir des différentes formations aux approches participatives (diplômantes, professionnelles, etc.) que nous menons en France, au Québec et dans des pays « des Suds » (Global South), concernant surtout le développement durable à des échelles locales (plus ou moins larges). Nos séances de travail communes ont permis de formaliser ces différents éléments préfigurant une ébauche de référentiel de compétences pour des formations aux approches participatives, complétée par une trame méthodologique pour accompagner ce transfert de compétences. La communication lors de ce colloque permettra de mettre en discussion nos résultats et de partager nos interrogations liées à ce travail en cours.
- Cerner, définir et transmettre une posture de praticien-ne des processus participatifs :
Si l'apprentissage des processus participatifs par le dialogue nécessite la connaissance et la maitrise de procédures, nous pensons qu'elle requière également l'acquisition d'une posture propre aux praticiens-nes et se compose des éléments suivants :
- Une pratique composée de savoirs en actes que sont les compétences (savoir-faire et savoir-être) d'une éthique du dialogue (Segers, 2014) qui représente un ensemble de procédures permettant d'encadrer le groupe et ses partis;
- Une conscience réflexive élaborée à partir de réservoirs de sens individuels et collectifs ainsi que de savoirs théoriques et procéduraux;
- Des finalités éthiques explicites : complexité, co-construction, dialogue, transition. Ces éléments ne sont pas fixes, mais bien inter-reliés dans une dynamique praxéologique dans laquelle :
- les finalités éthiques orientent la pratique et la conscience réflexive;
- la pratique et la conscience réflexive influencent l'action;
- l'action régénère la pratique, la conscience réflexive et les finalités éthiques.
Cette posture vise à ancrer tous ces éléments dans une action où l'adaptabilité primera sur toutes les technicités en cherchant à donner du pouvoir aux populations locales et parties intéressées en connivence avec le contexte dans lequel la participation s'exerce. Les apprentissages liés à l'acquisition de cette posture représentent un des défis centraux d'une démarche de référentiel des compétences (et à terme, d'un référentiel de formation qui en découlera). Quel est le processus propice à la transmission d'une posture en situation de formation ? La réponse à cette question est complexe et encore en construction, sur la base de multiples expérimentations dans nos formations, sur un mode de recherche-action. Car c'est en amenant les apprenants des approches participatives à adopter et à maitriser une telle posture que le potentiel transformateur des processus participatifs qu'ils/elles animeront sera le plus fort.
Bibliographie :
Bohm, D., Factor, D., Garrett, P. (1991). Dialogue - A proposal, consulté à l'adresse http://www.david-bohm.net/dialogue/dialogue_proposal.html
Chomsky, N. (2004). Le Profit avant l'homme (10 X 18.). 10 X 18. Chossudovsky, M. (2005). Mondialisation de la pauvreté et nouvel ordre mondial. Nouvelle édition revue et augmentée (nouvelle édition revue et augmentée.). Écosociété.
Freitag, M. (2008). L'impasse de la globalisation : Une histoire sociologique et philosophique du capitalisme. Les Éditions Écosociété.
Guattari, F. (1989). Les trois écologies. Paris : Éditions Galilée
Labrecque, M.-F. (2008). Anthropologie du développement au temps de la mondialisation. Chicoutimi : J.-M. Tremblay. Consulté à l'adresse http://dx.doi.org/doi:10.1522/030080260
Morin, E. (2004). La méthode Tome 6 L'éthique. Paris : Éditions du Seuil.
Morin, E. (2007). Vers l'abîme? Paris : L'Herne.
Rist, G. (2001). Le développement : histoire d'une croyance occidentale. Les Presses de Sciences Po.
Sachs, W. (1996). Des ruines du développement. Écosociété.
Segers, I. (2014). Dialogue, éthique et développement durable, pour la pratique de l'éco-conseil. Mémoire de maitrise, Université du Québec à Chicoutimi.
Taylor, C. (1992). Grandeur et misère de la modernité. Montréal : Bellarmin.
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