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Acceptabilité des politiques environnementales: le cas des oppositions locales aux projets éoliens
Marc Mormont * , Pierre Stassart  1@  
1 : Unité de Socio-Économie, Environnement et Développement (Campus d'Arlon - ULg)  (SEED)  -  Site web
Avenue de Longwy, 185 - B-6700 Arlon - Belgique -  Belgique
* : Auteur correspondant

Acceptabilité des politiques environnementales : Le cas des oppositions locales aux projets éoliens

Ce papier se propose de prendre au sérieux la question de ce qui freine la transition. Il renvoie empiriquement à la question des obstacles observables à une des contributions possible aux multiples dimensions de la transition énergétique, celle du développement de l'éolien terrestre. Il questionne en particulier nos cadres de références pour comprendre des oppositions souvent locales à des projets. Le propos n'est pas spécifique à l'éolien, mais il permet de contextualiser les débats qui se sont focalisés sur cette technologie verte.

Cette analyse repose à la fois sur le suivi des conflits environnementaux depuis 1975 dans différents domaines, sur le rôle des méthodes et des dispositifs qui permettent de traiter ces conflits, y compris dans l'engagement actif des chercheurs dans l'élaboration et l'application de méthodes sur le terrain ainsi que sur le suivi récent de différents projets et conflits éoliens en province de Luxembourg.

1. Le paradoxe éolien

Le paradoxe éolien, c'est l'opposition à des projets qui s'inscrivent explicitement dans une perspective environnementale légitime au contraire de la grande majorité des conflits d'aménagement qui depuis 40 ans se sont développés au nom de l'environnement. Ce paradoxe n'est pas une singularité wallonne : le même débat nous les retrouvons au Québec, en Flandre, aux Pays-Bas, en France, aux États-Unis, en Espagne, etc.(voir biblio en annexe).

D'une part, l'opinion publique saisie à travers des sondages va partout dans le sens d'une approbation forte du développement des énergies renouvelables et de l'éolien en particulier. Cela indique quelque chose qui est commun à toutes les sociétés industrielles avancées c'est- à-dire une attention à l'énergie qui est donc perçue comme rare et menacée ou menaçante dans ses formes actuelles.

D'autre part cette approbation, quasi majoritaire dans un grand nombre de régions et de pays, n'empêche pas qu'éclatent, et de plus en plus, des oppositions au développement des projets éoliens. Ces oppositions sont locales le plus souvent, mais elles réussissent à se fédérer quelquefois et elles mettent de sérieux bâtons dans les roues des promoteurs et causent des maux de tête aux administrations et autorités locales ou régionales en charge des politiques d'énergies renouvelables. De plus les débats qui se développent autour de ces mouvements anti projets éoliens recourent aux mêmes argumentations que ceux qui ont justifié les oppositions locales autour de nombreux projets industriels, d'infrastructures et autres :

 - gains élevés au profit d'acteurs étrangers

– transnationaux, absences de retombées locales, modèle de développement exogène

- incohérences écologiques liées au caractère intrusif des infrastructures et au caractère intermittent des énergies produites

- collusion des autorités politiques locales et régionales avec les intérêts économiques en jeu

- ... .

Enfin, la littérature mentionne que depuis une dizaine d'années, les autorités nationales ou régionales, dans différents pays, ont tenté de contourner ces oppositions locales / écologiques aux projets de développement. Aux Pays-Bas, en Grande Bretagne, en Flandre et en Wallonie - avec le fameux DAR1 ainsi que plus spécifiquement le projet de Décret Eolien2 - pour ne prendre que ces quatre exemples, les autorités ont tenté de rétablir une autorité centrale forte pour imposer des projets au nom de l'intérêt général. Il semble que cela n'ait rien résolu. Les oppositions locales persistent et se sont amplifiées, le conflit demeure. Cela pourrait vouloir dire que ce qui est à la racine du problème ce n'est pas en soi la question environnementale, le fait d'être pro environnement ou pro développement....

2. Alors à quoi avons-nous affaire ?

Comment une politique environnementale, politique soutenue par une majorité des populations (et souvent des partis politiques), politique qui répond de manière positive à des enjeux écologiques globaux (changement climatique) et qui promet en même temps une plus grande autonomie énergétique, comment une telle politique peut-elle se heurter à tant d'oppositions ?

Il faut simplement reconnaître que les politiques environnementales sont des politiques comme les autres, que les technologies environnementales sont des technologies comme les autres et qu'elles sont dons exposés aux mêmes critiques, aux mêmes oppositions que les autres politiques et que les autres technologies. Et pour y répondre, il faut faire un bon diagnostic de ce qui a changé durant les trente piteuses dans nos rapports aux politiques à contenu technologique.

Nimby ?

Dès les années soixante, lors de premières luttes écologiques, certains ont dénoncé le caractère « égoïste » des protestations locales contre des projets de développement. Il s'agit d'une lecture hâtive de ces luttes, lecture dévalorisante puisqu'elle réduit ces protestations à des purs intérêts privés par opposition aux intérêts collectifs. Cette grille de lecture est celle des intérêts3 . Elle est régulièrement contestée par les analystes (sociologues et politistes) car elle ne rend pas compte ni de l'action (qu'elle associe), ni des motifs (quels arguments), ni de la dynamique sociale de ces protestations.

La dimension sociopsychologique


Une grille de lecture plus sociopsychologique a été mobilisée se référant plutôt à des rationalités symbolique ou sociale : l'attachement au lieu quant les projets affectent des valeurs typiques du lieu (ressources, paysage, activités) ; la cohésion sociale : l'opposition réactualise des solidarités ou les suscite ; le sentiment d'injustice distributive quand les impacts sont ressentis comme inégalement répartis ; le sentiment d'injustice procédurale des procédures quand ce sont les processus de prise décision sont perçu, notamment via les procédures de consultation, comme ne respectant pas l'équité de parole.

Les facteurs structurels : la distance.

Nous proposons la notion de distance (ou » gap ») (Mormont,1997) pour aller au-delà de cette dimension sociopsychologique. Elle a été reprise par Pepermans et Loots (2013) pour rendre compte des rejets des projets éoliens en Flandre. On a ici affaire à des facteurs plus structurels.

- délocalisation : la spécialisation fonctionnelle des espaces, renforcée par un urbanisme fonctionnaliste, a créé des espaces principalement résidentiels où les activités économiques sont soit absentes, soit déconnectées des populations résidentes (en milieu rural) pour qui seules comptent les aménités ; cette dissociation spatiale, mais aussi sociale des espaces productifs et résidentiels limite toute transaction entre bénéfices économiques et qualités de milieu

- globalisation : les activités économiques fortement délocalisées entraînent à la fois une forte mobilité (qui induit des impacts localisés) et une distance croissante entre les populations vivant sur un territoire et les acteurs économiques insérés dans des réseaux internationaux d'échange ;

- individualisation : ceci ne réfère pas à une tendance à l'individualisme (ce qui conforterait l'hypothèse du syndrome Nimby), mais à la tendance à faire des droits individuels la référence centrale de nos cultures politiques, droits protégés (à la santé, à l'environnement, à l'éducation, etc.) qui justifient juridiquement une défense des espaces habités

- risque : en lien avec ces droits protégés s'est imposée progressivement aussi la notion de risque comme une référence centrale de l'espace politique. Cette dimension présente dans l'alimentation depuis 15 - 20 ans se généralise via la notion de risques latents - potentiels qui ne se voient pas immédiatement et alimente la méfiance à l'égard des décideurs, mais aussi à l'égard des experts.

Cette quadruple distance est un fait structurel. Elle impose de mettre en place des procédures de médiations crédibles afin de rendre

3. Les médiations

Les technologies : la médiation technique

Les technologies environnementales sont des technologies comme les autres. Celles-ci ont des effets négatifs et potentiellement des impacts dommageables. Le raisonnement technologique vise l'efficacité selon les critères qu'il se donne, mais c'est aussi un raisonnement qui tend à exclure de son champ les préoccupations qui ne relèvent pas de l'objectif poursuivi. Les technologies vertes - tels que les éoliennes - ne sont pas indemnes de tels impacts. Ce qui manque alors à nos sociétés technologiques – et qui peut aussi concerner les technologies vertes – c'est une capacité à explorer in concreto dans le lieu et le temps de l'usage les conséquences de ces technologies. Il faut sans doute imposer petit à petit que les technologies sont négociables parce qu'elles sont toujours négociées : à qui faut-il élargir la négociation ? Certaines expériences de codéveloppement avec des acteurs locaux laissent certaines possibilités. Néanmoins, ces acteurs locaux se heurtent souvent à l'absence de positionnement des pouvoirs publics locaux et ont du mal de résister à la polarisation que tente de leur imposer ces oppositions locales.

L'expertise : la médiation scientifique

Face à l'incertitude dont nous parlons ci-dessus il est tentant se s'en remettre à des experts dont on attend qu'ils établissent des faits indiscutables ou du moins des évidences comme on dit aujourd'hui (voir la « evidence based medecine ») ; malheureusement si la science sait produire des faits qui font preuve en laboratoire, leur transport dans le monde réel n'est pas sans poser des problèmes et laisse subsister des incertitudes. La controverse sur les nuisances sonores et leur subjectivation en est l'exemple le plus spectaculaire, mais d'autres domaines d'impact tel que celui sur l'avifaune se heurtent au même type de limites.

Le local : la médiation territoriale

La médiation territoriale (à ne pas confondre avec la consultation ou la participation) ce sont les possibilités offertes par la reconfiguration tant technique que socio-économique des projets dans le cadre des territoires. Elle ne signifie pas non plus la simple négociation locale, car c'est en circulant entre des échelles différentes (du local parfois jusqu'à l'international) que les technologies peuvent s'ajuster aux sociétés qu'elles contribuent aussi à reconfigurer. En matière énergétique – l'énergie est faite de réseaux d'infrastructure – ces reconfigurations doivent laisser une place à des initiatives locales et à des formes d'appropriation. Cela suppose un engagement politique dans des débats et des choix techniques.

4. Conclusion

Il n' y a pas de technologie « verte » ou de technologie durable « en soi » car aucune technologie n'est univoque dans ses effets ni dans sa signification sociale. Les énergies, quelles que soient leurs sources, sont transverses aux territoires et aux secteurs. Elles recèlent donc un potentiel de lien, de synergies et de coexistences. Mais pour qu'elles l'actualisent, il faut inventer des dynamiques de négociation aussi complexes et aussi variées que ne le sont les réseaux énergétiques futurs. Il reste que les logiques dominantes de libéralisation et d'appropriation privée ne laissent guère que peu d'espace pour cette inventivité que manifestent pourtant nombre de projets locaux.

Références

Etudes de cas sur les conflits éoliens

Ariza-Montobbio P,* and K. N. Farrell, Wind Farm Siting and Protected Areas in Catalonia: Planning, Alternatives or Reproducing 'One-Dimensional Thinking'?, Sustainability 2012, 4, 3180-3205

Bell D, Gray T & C Haggett, The ‘Social Gap' in Wind Farm Siting Decisions: Explanations and Policy Responses, Environmental Politics, Vol. 14, No. 4, 460 – 477, August 2005

Bidwell D, The role ofvalues in public beliefs and attitudes towards commercial wind energy, Energy Policy, 58 (2013), 189–199

Brannstrom C, Jepson W, and N Persons, Social Perspectives on Wind-Power Development in West Texas, Annals of the Association of American Geographers, 101(4) 2011, pp. 839–851

Chataignier Stéphane et Jobert Arthur, Des éoliennes dans le terroir. Enquête sur « l'inacceptabilité » de projets de centrales éoliennes en Languedoc-Roussillon , Flux, 2003/4 n° 54, p. 36-48

Fortin MJ, Devanne AS & Le Floch S, L'acceptabilité sociale de l'éolien au Québec :apprendre dans la turbulence, LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE No 83, 90-96

Gueorguieva-Faye Diana, Enjeux autour de l'énergie électrique éolienne en Ardèche. La construction sociale du plateau de Saint-Agrève, thèse en Anthropologie de l'Environnement, Museum d'Histoire Naturelle, Paris, 2008 Maillebouis C, Nimby ou la colère des lieux. Le cas des parcs éoliens, Natures Sciences Sociétés 11 (2003) 190– 194

Pepermans Y& Loots I, Wind farm struggles in Flanders fields. A sociological perspective, Energy Policy, 59, (2013), 321–328

Etudes générales sur les conflits d'implantation et le phénomène dit « Nimby »

Mormont M. Vivre avec les conflits d'implantation ? Environnement et Société, 1997, n° 18, pp 21-31.

Mormont, M., Conflits et Territorialisation, Géographie, Economie et Société 2006, 8 (2), 299–318.

Trom Danny. De la réfutation de l'effet NIMBY considérée comme une pratique militante. Notes pour une approche pragmatique de l'activité revendicative. Revue française de science politique, 49e année, n°1, 1999. pp. 31-50.



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